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D'où vient l'argent du sport roi ?
Les comptes du football sont hors jeu
Publié dans El Watan le 20 - 06 - 2005

La saison de football est à peine finie qu'elle redémarre. Sur le front financier des transferts. Pourtant, tous les signaux sont au rouge. Les clubs sont déficitaires, et de plus en plus.
Il faudra très bientôt choisir. Bloquer la hausse des dépenses ou doper les revenus du football.Il est un des membres importants de l'équipe dirigeante du MCA - football « tenu par l'obligation de réserve ». Comme ses pairs dans les autres clubs, il est, nicotine à la rescousse, confronté au stress de la caisse vide, au moment fatidique où il faut échafauder les plans sportifs de la saison suivante. Dans le disque dur de son micro, les comptes de la maison Mouloudia : « Dès ce soir, nous allons nous voir pour commencer à travailler sur le budget prévisionnel de la saison prochaine. Il y a le stage de l'intersaison, incontournable, qu'il faut payer, environ 7 à 8 millions de dinars » et puis mettre de côté des provisions pour faire ses courses sur le marché des transferts, montant de l'opération aussi secret que variable. Les 16 clubs de la division I ont dépensé entre 140 et 170 milliards de centimes durant la saison 2004-2005. Est-ce un hasard si les trois équipes qui ont été reléguées, l'US Chaouia, le GC Mascara et l'Olympique Ruisseau, venaient la saison dernière ou celle d'avant du palier inférieur ? Elles souffraient de petits budgets et n'ont pas eu le temps de s'adapter à l'explosion des dépenses du football de l'élite. Les budgets annuels de la JSK, de l'USMA, du MCA ou de l'USM Blida tutoient les 20 milliards de centimes ou vont bien au-delà, lorsqu'ils ne sont que de 5 milliards pour les plus petits. Le football, bataille de moyens financiers d'abord ? Assurément, mais une bataille ou le hors-limite est devenu la règle. « Tous les clubs parlent de trous dans leurs comptes. Tous ont des déficits dans leur exercice, à l'exception peut-être de l'USMA grâce aux 700 000 euros du transfert de Diallo à Nantes », affirme un ancien responsable de titres sportifs. « Les dirigeants traînent des ardoises avec leurs prestataires de service comme les transporteurs, les hôtels ou les restaurateurs. Mais surtout, ils ne règlent presque jamais leurs joueurs jusqu'au dernier dinar. Aujourd'hui, il n'y a pas un seul club qui soit à jour dans le paiement de ce qu'il doit à ses joueurs. » Les clubs de football vivraient donc au-dessus de leurs moyens. Et ce n'est pas près de s'arrêter.
Dépenses en hausse, recettes aléatoires
La bulle de l'argent du football va-t-elle continuer à enfler ou est-elle sur le point d'éclater ? Le tableau est alarmant. Pour la première fois, l'ancien président d'un prestigieux club de l'Oranie a été condamné à une peine de prison ferme pour un chèque en bois qu'il a donné à un joueur. Les fins de saison sont chaotiques sur le plan financier. La FAF a anticipé les situations de banqueroute qui se profilent et sanctionné une équipe qui commet un forfait d'une rétrogradation automatique en division inférieure, voire une division plus bas pour un club déjà relégué. Le train de vie des clubs est de plus en plus cher (20 % de plus annuellement) et les recettes toujours aussi aléatoires. Le MCA, par exemple, a déclaré 4 milliards de centimes de déficit pour son exercice 2003-2004. C'est pourtant l'un des clubs les mieux courtisés par les sponsors, les équipementiers (qui habillent l'équipe) et celui qui draine le plus grand public. Les revenus du football ne progressent donc pas à l'allure de ses dépenses. Depuis que les clubs de football ont quitté les entreprises publiques pour redevenir « civils », la part de l'argent public va en descendant dans leur budget global, notamment chez les clubs les plus prestigieux. 7 millions de dinars cette année seulement pour le MCA si l'on ne compte pas l'argent de Sonatrach désormais assimilé à un sponsor majeur comme Sonelgaz chez le voisin usmiste ou Peugeot à la JSK. La subvention annuelle de la DJS - direction du sport à la wilaya - est attendue pourtant comme le messie chaque année chez les clubs financièrement moins attractifs pour les sponsors comme Tlemcen, Chlef ou Annaba. Beaucoup de clubs vivent encore lourdement au crochet de l'Etat. Air Algérie accorde aux clubs une ristourne de 50% sur les billets lignes intérieures. Le football est une activité de spectacle qui prétend à la « modernité du marché » mais qui ne peut se passer encore des aides publiques. Cela ne changera pas de sitôt « tant que les clubs ne sont pas dotés de patrimoine qui leur permet de devenir bancables, de diversifier leurs activités commerciales. Imaginez que nous avons un mal fou à faire déposer la marque ‘'Mouloudia d'Alger'' à l'INAPI. Tout le monde peut utiliser notre image et en tirer des revenus », déplore le dirigeant du MCA. La contrefaçon est d'ailleurs un vrai obstacle à l'investissement dans le football en Algérie. « Le dernier jour du championnat il y avait près du stade de Bologhine, où l'USMA célébrait son titre, des centaines de maillots aux couleurs du club vendus à l'étalage sous une autre marque que Uhlsport, l'équipementier attitré de l'USMA », raconte un ancien dirigeant des Rouge et Noir. Personne ne réagit. Cela n'encourage pas les partenaires des clubs de football à monter dans leurs mises. Il y a trois ans, c'est Baliston, partenaire habilleur du MCA, qui était gangrené par une immense déferlante sur le marché de ses produits vert et rouge contrefaits. Les grandes marques d'équipements sportifs payent, depuis trois ou quatre ans, pour montrer leurs produits sur les équipes les plus huppées et deviennent une petite source additionnelle du financement du football.
Droits de télévision au forfait symbolique
« Dans un tel contexte, vous pensez bien que nous avons renoncé à lancer une chaîne de magasins pour vendre nos produits ou faire du merchandising comme le font ailleurs les grands clubs populaires. La contrefaçon est décourageante », peut-on entendre indifféremment chez les dirigeants tentés par la diversification de leurs sources de revenus. Pas de patrimoine propre à faire fructifier, pas de droits protégés sur la marque, de moins en moins d'argent public compte tenu de besoins croissants : qu'est-ce qui peut venir sauver le soldat « club de football » avant le collapsus financier ? Les droits de télévision peut-être. Après tout, ils sont la principale manne nourricière des clubs de football ailleurs. Canal + a sorti un chèque de 1,8 milliard d'euros pour rafler les droits de télévision du championnat de France les trois prochaines saisons. Le sujet fait sourire en Algérie. « La fédération donne un forfait semblable à tous les clubs quel que soit le nombre de fois où ils ont été télévisés. Tenez, il y a trois saisons, l'USM Bel Abbès qui a refusé l'accès des caméras du direct à son stade a reçu le même chèque que nous », raconte le dirigeant du MCA. Les droits de télévision auraient rapporté deux millions de dinars à chaque club au titre de la saison 2003-2004. Dérisoire. L'arrivée d'ART, le bouquet numérique arabe, qui diffuse le championnat d'Algérie, devrait améliorer le menu des clubs mais tout le monde est d'accord pour dire que le football est, quoi qu'on en dise, « un spectacle sous-payé à la télévision ». D'où la course aux compétitions internationales, une vraie bouffée d'oxygène pour ceux qui peuvent se hisser aux quarts de finale de la ligue des champions africaine ou arabe, les droits de télévision garantis y sont d'un autre ordre de grandeur, près de deux milliards de centimes par tour de compétition joué. Seuls, encore les mêmes, la JSK, l'USMA et depuis cette année le MCA ont pu arrondir leurs revenus grâce à d'autres droits de télévision que ceux payés par l'ENTV. C'est dire si le filon est rare. Une source de revenus du football cependant ne s'est jamais démodée, la billetterie du stade. Les prix des billets ont augmenté, 100 da en moyenne, et le contrôle du guichet est une source de pouvoir convoitée dans les comités directeurs des clubs. Mais là aussi, les dirigeants affirment ne pas être payés de retour parce qu'en Algérie « il suffit de connaître un policier pour rentrer gratuitement au stade ». Le MCA a rempli six fois le stade du 5 Juillet cette saison, mais son meilleur score de spectateurs payants est de seulement 44 000. L'Office du complexe olympique est montré du doigt, tout comme ailleurs de nombreux clubs, qui ne gèrent pas leur stade de domiciliation, accusent l'APC ou la direction du parc olympique de wilaya de sous-déclarer les rentrées payantes effectives. Accusation souvent retournée contre les dirigeants des clubs. Les recettes des stades pourraient pourtant être plus stables et plus importantes avec les abonnements, « le système des socios » si populaire en Espagne. « Ce n'est pas dans notre culture. Au MCA, on a vendu 36 abonnements, pas un de plus. » A l'USMA, on a fait tout de même mieux - quelques centaines. Mais les matchs à huis clos, les mots d'ordre de boycott comme avec la JSK et le bras de fer avec les archs, la peur des mauvais résultats n'ont pas aidé à promouvoir l'abonnement annuel. « En vérité, cela n'intéresse pas vraiment les dirigeants car il y a plus de transparence dans les recettes avec les cartes que dans la vente de billets au guichet », affirme l'ancien dirigeant de l'USMA. Selon les comptes certifiés par un commissaire, les recettes de la billetterie ont rapporté un peu plus de 9 millions de dinars au MCA en 2003-2004, moins de 8% du budget de l'année.
« Il faut mettre le holà »
L'horizon comptable du football est bien sombre. Et la spirale à la hausse des déficits est à son début. Car d'austérité personne ne peut parler. « La saison se perd ou se gagne dans l'intersaison, selon que l'on ait réussi ou loupé son recrutemen. Si l'on joue la modération dans les dépenses pour renforcer son effectif, on prend le risque d'être lynchés par les supporters avant même le premier match de la rentrée », raconte Hamida, un proche de l'USMBA qui a été relégué de la D2 parce que « le nouveau président n'avait pas eu le temps, ou l'argent frais, pour recruter lors de l'été 2004 ». Face aux déficits qui se creusent, c'est la qualité technique du footballeur qui finit par en pâtir. Il n'est jamais sûr d'être payé et ne peut plus se concentrer sur la performance. Pis encore : dans la plupart des clubs, l'océan de dettes sur lequel navigue l'équipe fanion a une conséquence directe sur la formation des jeunes. Leurs prises en charge est sommaire. Il faut bien faire des économies quelque part. L'ancien dirigeant usmiste pense qu'il est temps d'agir : « Je suis pour la validation du budget prévisionnel des clubs par une direction spécialisée du ministère des finances comme cela se fait en France. Si on ne peut pas prouver au moins 80 % de ces recettes prévisionnelles, alors on est rétrogradé. Ou dans un cas moins grave interdit de recrutement jusqu'à retour à l'équilibre comptable. On devrait obliger les clubs à démarrer la saison avec un montant de 1 ou 2 milliards bloqués sur un compte comme garantie de trésorerie. » L'autre solution est bien sûr de mettre le football professionnel en configuration de drainer à lui plus de revenus qu'aujourd'hui. « Je suis pour le passage au statut de SPA pour la section football du MCA. Cela nous permettrait de lever des fonds afin d'assurer la croissance du club et d'avoir une vraie puissance commerçante, ce qui n'est pas le cas avec le statut associatif actuel », assure le dirigeant contraint à l'anonymat par sa profession. C'est un industriel de la Mitidja qui s'est un jour risqué à cette comparaison osée : « Les clubs de football en Algérie, c'est comme la terre de l'autogestion. L'Etat a fait une demi-privatisation. Maintenant pour que l'argent vienne en masse dans le football comme dans l'agriculture, il faut aller jusqu'au bout et ne pas se contenter de donner l'exploitation seulement. » Les supporters de Manchester United ont manifesté contre le rachat de leur club par M Glazer, un vieux magnat américain. Que penseront les supporters kabyles d'une JSK appartenant à Issad Rebrab ?


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