Tirer les leçons de la crise de 1929 et celle de 2008    Diolkos, le père du chemin de fer    Femmes et enfants, premières victimes    Retailleau ou le « quitte ou double » de la politique française en Algérie    L'étau se resserre !    L'ESBA à une victoire du bonheur, lutte acharnée pour le maintien    15.000 moutons accostent au port d'Alger    Les lauréats des activités culturelles organisées dans les écoles et collèges honorés    Les bénéficiaires de la cité 280 logements de Kheraissia inquiets    Le président de la République ordonne de prendre toutes les mesures pour la réussite de la Foire commerciale intra-africaine    Le Conseil des ministres approuve un projet de loi relatif à la mobilisation générale    Le Conseil des ministres approuve l'abaissement de l'âge de la retraite pour les enseignants des trois cycles    Algerie-Arabie Saoudite: signature de 5 mémorandums d'entente et accords dans plusieurs domaines    La désinformation médiatique, une menace appelant à une réponse continentale urgente    La communauté internationale est dans l'obligation de protéger le peuple sahraoui    Meziane appelle au renforcement des législations nationales et internationales    Le guépard saharien "Amayas" repéré dans l'Ahaggar à Tamanrasset    Le rôle des médias dans la préservation et la valorisation du patrimoine culturel souligné à Batna    Tamanrasset: large affluence du public au Salon national du livre    Réunion d'urgence FAF: Présidents des clubs de la ligue professionnelle mardi    TAJ se félicite des réformes en cours sur la scène politique nationale    Formation professionnelle : lancement des qualifications pour les Olympiades des métiers dans les wilayas de l'Est du pays    Fédération algérienne de Boxe: le président Abdelkader Abbas prend part à la réunion de la World Boxing    Poursuite des pluies orageuses sur plusieurs wilayas du pays, dimanche et lundi    Ghaza : le bilan de l'agression génocidaire sioniste s'alourdit à 51.201 martyrs et 116.869 blessés    Meziane appelle les journalistes sportifs à défendre les valeurs et les règles d'éthique professionnelle    Le président de la Fédération équestre algérienne élu au Conseil d'administration de l'Union arabe d'équitation    «Construire un front médiatique uni pour défendre l'Algérie»    Les enjeux des changements climatiques et de la biodiversité débattus    Des matchs à double tranchant    Mobilis : Les médias à la découverte de la 5G    Nessim Hachaich plante les couleurs nationales au plus haut sommet du monde    Rencontre sur les mécanismes de protection    L'Institut d'agriculture de l'Université Djilali-Liabes invite les enfants de l'orphelinat    Hamlaoui présente trois projets d'aide pour les femmes du mouvement associatif    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    La Coquette se refait une beauté    Un rempart nommé ANP    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le point du samedi
Berger et troupeau : la métaphore de l'ordre pastoral
Publié dans El Watan le 25 - 06 - 2005

De toutes les métaphores que les Algériens emploient confusément pour parler de leur « société », de leur « peuple » et, en définitive, d'eux-mêmes, il y en a une de particulièrement troublante : celle du troupeau.
« Nous n'avons pas un peuple, mais un troupeau ! » Que de fois a-t-on usé de cette allégorie abrupte - ou de l'une de ses innombrables variantes - dans les discussions privées, les accès de colère, les moments de doute intellectuel ou d'abattement politique ! Le plus saisissant dans cet usage, de plus en plus fréquent à mesure que le pays s'enfonçait dans l'abîme de la crise, est qu'il n'est pas circonscrit à une catégorie sociale plutôt qu'une autre ; son emploi se rencontre partout ou peu s'en faut : dans les salons feutrés de l'« élite » (al khasa) comme dans les souks bruyants de la « plèbe » (al âmma), dans le discours des puissants comme dans celui des damnés (al mustadh'âfin) - à cette nuance près que certains le font ouvertement, tandis que d'autres le disent en voix off ou sur un mode mineur. Que doit-on retenir de ce type de représentations que véhiculent les agents sociaux sur le « moi collectif » ? D'aucuns invoqueraient l'autodérision comme posture sociale face aux malheurs du vécu. On pourrait se contenter de cette réponse ; l'ennui est que la métaphore pastorale connaît aussi un usage positif. « Chacun d'entre vous est berger et chacun est responsable de son troupeau », est-il dit en substance dans un hadith. Ouvrons une petite parenthèse, le temps de poser une question : comment peut-il y avoir de troupeaux dès lors que chacun est berger ? Refermons la parenthèse. L'image forte du pasteur et du troupeau ne relève donc pas toujours de l'autodérision ; elle peut aussi énoncer un schème de domination, celui du pouvoir pastoral. La tradition de nos ancêtres « féroces » (pour reprendre le mot de Kateb Yacine) a d'ailleurs bien su puiser dans ce référent sacré les arguments nécessaires pour habiller la domination patriarcale des atours de la légalité religieuse. Or, entre cette image référentielle de l'obéissance du troupeau humain à son berger et celle, par trop dépréciative, du troupeau (de brebis, de sauvages, etc.) en errance, n'a-t-on pas là deux dimensions d'une seule et même métaphore ? Si tel est bien le cas, est-ce que le rapport berger-troupeau est à même de fournir les assises d'un ordre politique ? Ou, pour reprendre l'interrogation de Michel Foucault, comment passe-t-on de la pastorale des âmes au gouvernement des hommes ? Ainsi formulée, la question peut paraître inconvenante, déraisonnable même ; elle ne l'est pourtant pas au regard des représentations que charrient certaines franges sociales, qu'elles soient rurales ou urbaines, nostalgiques du temps du zaïm ou de l'ère du khalife, en attente du Messie ou de l'Imam qui les délivreraient des malheurs de ce bas-monde. Que l'on ne s'y trompe pas : pour aussi flottantes qu'elles puissent être, ces représentations font sens pour plus d'un... électeur. Lors de la campagne électorale comptant pour les législatives de 2002, un groupe communautaire avait organisé une splendide cérémonie nocturne ksourienne - à laquelle nous avions assisté en qualité de chercheur enquêtant sur les élections - pour annoncer son soutien public à un candidat indépendant (non issu du groupe). La charge d'annoncer l'allégeance revenait, segmentarité oblige, aux deux fqihs du groupe ethnique ; l'un d'eux devait déclarer à l'adresse du candidat - document à l'appui : « Le berger a, en vers son troupeau, des devoirs immenses ; il doit se comporter avec les membres de sa rayiya (troupeau) avec justice. » Le candidat fut triomphalement élu. La métaphore pastorale comme symbolique de l'ordre politique est aussi vieille que le monde. Dans les anciennes communautés de la Méditerranée orientale, la figure du chef était celle du pâtre : parmi les titres que se donnaient les rois de Babylone figurait bien celui de « berger des hommes » ; le Pharaon recevait le jour de son sacre une « houlette de berger », symbole par excellence du pasteur ; les Hébreux réservaient le titre de berger à Yahvé, Dieu. Dans ces civilisations, la pastorale relevait bel et bien d'un « art de gouverner les hommes » : le pasteur guide les brebis et exerce le pouvoir sur son troupeau humain ; les ouailles accourent à son appel (« Je sifflerai et ils se rassembleront ») ; le berger assure le salut de son troupeau, « quand ses brebis sommeillent, lui veille » ; la disparition du pâtre entraîne l'errance fatale des brebis ; le berger est le seul responsable de la destinée des brebis ; les fidèles n'ont d'autres devoirs que celui d'obéir au pasteur-souverain... A cette conduite des âmes, les Grecs, eux, ont préféré l'invention de la polis ; celle-ci leur permettait de régler, dans l'enceinte publique de l'agora, entre citoyens libres, les affaires communes de la Cité. Dans Le Politique, Platon avait récusé la métaphore du pasteur en lui préférant celle du tisserand. A l'inverse du berger qui s'occupe, seul, de tout le troupeau et de chaque brebis (omnes et singulatim), le tisserand, lui, a besoin de l'aide d'autres détenteurs de savoir-faire car, pour faire du tissage, il faut au préalable que la laine ait été tondue, que le cadran ait été fabriqué, etc. Pour Platon, la politique est un art particulier qui consiste à réaliser un « tissu magnifique dans les plis duquel devrait s'envelopper toute la population ». La fin des sociétés antiques et l'abandon qui s'en est suivi de la pensée politique des Anciens devaient marquer le retour de l'ordre berger-troupeau. L'institutionnalisation de la religion chrétienne en Eglise avait en effet permis au pastorat de s'affirmer comme un dispositif de pouvoir. « Le pastorat dans le christianisme, écrit Michel Foucault, a donné lieu à un réseau institutionnel dense, compliqué, serré [...], à un art de conduire, de diriger, de mener, de guider, de tenir en main, de manipuler les hommes [...]. » « Cette force de pouvoir si caractéristique de l'Occident, poursuit ce maître du soupçon, [...] a pris modèle du côté de la bergerie, de la politique considérée comme une affaire de bergerie. » On peut regretter ici que l'historien des systèmes de pensée n'ait pas intégré les traditions musulmanes du pouvoir dans son investigation de la thématique de la « gouvernementalité » : le pouvoir qu'exerce le kebir al ârch sur les membres de la tribu ; l'imam sur la communauté des croyants ; le moqqadem sur les serviteurs de la zawiya ; le maître d'une tariqa (voie mystique) sur ses disciples ; le sultan sur ses sujets, ne sont-ils pas autant de variations sur le thème de la pastorale ? En attendant une entreprise intellectuelle de cette envergure, une chose reste néanmoins certaine : la sortie du Moyen-Age et l'entrée dans les Temps Modernes ne se sont faites qu'au prix d'une rupture théorique autant que pratique avec l'ordre pastoral et les dispositions mentales qui en constituaient l'arrière-plan.

Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.