Le nouveau ministre des Finances Mourad Medelci a surpris les auditeurs de la chaîne III mercredi dernier. A une question sur les raisons qui l'ont poussé à ordonner le retour de la CNEP et de la BADR à leurs missions originelles - le financement du logement et de l'agriculture - il a répondu « l'écoute des citoyens ». A l'heure où les commandes d'études - de préférence par un bureau étranger - font fureur, jusqu'à l'abus, auprès de toutes sortes d'organismes et d'entreprises publiques, pour toutes sortes de problèmes (exemple : comment développer son réseau de distribution de manière optimale chez Naftal ?), le recours à la simple « écoute du citoyen » pour réorienter stratégiquement les engagements de deux banques publiques est une prouesse à relever tant elle économise temps et argent à l'Etat et à son Trésor public. Rarement décision aussi importante aura été justifiée avec autant de sens ... de l'intuition. Passe pour le logement : tout le monde peut comprendre qu'il y a un intérêt pour tous, Etat, promoteurs, épargnants, demandeurs de logements, à ne pas disperser les engagements de la CNEP afin qu'elle demeure par excellence la banque qui aide les Algériens à acquérir un toit. Encore qu'un analyste des produits bancaires peut démontrer que le crédit automobile - abandonné en 2005 par la CNEP - est plus rentable dans le court terme et qu'il peut aider à améliorer les ratios de performances de la banque sans assécher les ressources pour les prêts logements. Mais contraindre en 2005 la BADR à se replier uniquement sur les activités liées à l'agriculture et la pêche... voilà un événement totalement incompréhensible dans le microcosme bancaire. La BADR partage avec le CPA le rang de première banque en Algérie lorsqu'on utilise un indice synthétique combinant le montant des dépôts, celui des engagements, la taille du réseau clients, et les résultats d'exercice. Si le CPA est promis à la privatisation au profit de partenaires étrangers pourquoi bloquer le développement de la BADR ? Car il n'y a pas une autre manière de qualifier cette mesure lorsque l'on sait que partout dans le monde le mouvement historique des banques agricoles est de diversifier leurs portefeuilles et de participer au financement d'autres secteurs plus rentables selon la substance des cycles d'activité. Une banque demeure de vocation agricole lorsqu'elle conserve 10 % de ses engagements dans ce secteur. A la BADR, la part des crédits accordés à l'agriculture, et activités liées, dans le total des crédits est proche de 20%. Est-ce insuffisant dans un pays qui court après « l'autosuffisance alimentaire » comme le rappelle le ministre des finances ? Ce n'est sûrement pas « l'écoute du citoyen » qui va le dire. L'accès au financement du logement a limité les réalisations pendant très longtemps et continue d'être en partie un obstacle en dépit de la baisse des taux d'intérêts. L'activité de l'agriculture et dérivés n'est pas dans la même situation. Le recours à la banque y est traditionnellement faible. La modernisation attend le statut final des terres de l'autogestion. Le secteur a plus besoin de mécanismes d'assurances-garanties liées au facteur risque spécifique. La BADR compte parmi ses clients quelques entreprises de renom. Deux en particulier sont devenues clientes à l'ère Benyacoub, le directeur général sortant, artisan du déploiement tout azimut de la banque. La première, Orascom-Algérie, fait baver les concurrents de la BADR tant ses performances commerciales en font un vaisseau amiral parmi les clients. La seconde, Tonic Emballage, a fait couler beaucoup d'encre car elle a bénéficié du crédit le plus important jamais accordé à un privé algérien en voie de démarrage, un crédit au-delà de ce que les fonds propres de la BADR autorisait. Les remboursements de Tonic Emballage commenceront en 2006 et jusque-là il n'est pas dit que c'est un mauvais engagement pour la BADR. C'est même le contraire qui se chuchote. Alors, même question, pourquoi stopper l'expansion de la BADR sur un bruit de fond du café du commerce ? Avec le feu vert pour l'acquisition des 51%, le ministre des Finances a annoncé une grande concession aux partenaires étrangers afin qu'ils viennent reprendre les banques publiques privatisables. La mise entre parenthèses de la BADR ressemble à une autre concession qui ne dit pas son nom.