Chaque année, des milliers de braves gens mettent la main à leur portefeuille. Un sourire de satisfaction aux lèvres, ils alignent les liasses de billets qui vont faire d'eux les propriétaires heureux d'un véhicule à moteur neuf ou d'occasion. Chaque année, avec la même régularité, un certain nombre de ces braves gens est tué dans des accidents de la circulation... D'autres personnes sans relation directe avec eux décèdent des mêmes causes. Ce sont des piétons, des passagers accompagnant ces braves gens, des voyageurs innocents, ceux qui n'ont pas demandé à être là au mauvais moment. L'hécatombe est si constante, si régulière, qu'on ne peut la comparer qu'aux grandes épidémies historiques ou aux catastrophes naturelles. Aux origines de l'épidémie, il est bon de rappeler que les deux premiers morts sur la route ont été enregistrés en Angleterre en 1896. Aux Etats-Unis, la série s'ouvre en 1899, la même année qu'en France, lors de la fameuse course Paris-Madrid au cours de laquelle une Renault se distingue en dépassant le 100 km à l'heure. Ensuite, le crescendo a été rapide, surtout après la Seconde Guerre mondiale. L'Europe se met à l'heure américaine. L'automobile reçoit la mission d'être à la pointe de l'industrialisation. Les Etats-Unis au fait de leur puissance dénombrent 35 000 à 40 000 morts par an sur leurs routes. L'Europe n'est pas en reste avec des centaines de milliers de victimes. En Algérie, les chiffres sont effarants à telle enseigne que certains n'ont pas hésité à parler de « l'entrée de notre pays dans le quatuor des pays les plus touchés par cette épidémie ». La plupart des accidents sont le résultat d'un concours de circonstances ; l'état de la route, celui du véhicule y sont parfois pour quelque chose. Mais, presque toujours le doigt accusateur finit par être pointé vers l'homme... Et la réaction du législateur ne s'est pas fait attendre. Durcissement du code de la route : vitesse réduite, port de la ceinture de sécurité obligatoire, contrôle d'alcoolémie. Résultat de cette batterie de mesures « Depuis le 1er mars dernier, constate le chef de service de wilaya de la sécurité publique, cité par El Watan du 24 mai 2005, les accidents corporels ont connu une nette répression : 640 contre 940 pour la même période de l'année précédente, soit une baisse de 18,99%. Le nombre des victimes a également connu une baisse, passant de 116 au premier trimestre de l'année 2004 à 77 pour la même période de cette année. Quant aux décès, leur nombre est passé de 47 à 28 pour les mêmes périodes. » 2005 se révèle-t-elle pour autant une bonne année de prudence sur les routes ? Personne ne peut l'affirmer, d'autant plus que les services de police d'Alger font état durant la période allant du 1er janvier au 11 mai 2005 de 3294 cas de retrait de permis de conduire immédiat, de 4324 provisoires et de 1000 cas de saisine de la commission de wilaya. Tout cela, dans une seule wilaya, dans un pays qui en compte encore 47 autres et pour une période limitée (du 1er janvier au 11 mai 2005). Et nous voilà retrempés au cœur du sujet ! La route est toujours dangereuse et continue à faire des victimes. La route ? Mais pourquoi pas la ville. En effet, les victimes sont ramassées et dans la route et dans les centres urbains. Aussi, serait-il intéressant d'affiner encore plus nos statistiques pour décortiquer les accidents en situant les chiffres de ceux survenus sur les routes nationales, les chemins de wilaya et de commune, soit l'ensemble des accidents survenus en dehors des zones urbaines et pouvoir affirmer (ou infirmer) ainsi que les accidents sont plus meurtriers (ou pas) dans ou en dehors des agglomérations. Ensuite, année après année, pouvoir dire que tel mois de l'année est plus dangereux (sur la base de l'examen des constats passés), mettre à jour un graphique illustrant une irrésistible montée des accidents pendant telle saison, pendant le printemps par exemple, puis juillet-août passés, une lente descente jusqu'en janvier. Prouver ensuite que tout recommence l'année suivante. Que les mois les plus meurtriers, par exemple, sont ceux où il se produit (paradoxalement) le moins d'accidents, novembre et février (ou d'autres mois). Dire que l'hiver tue plus que l'été (ou vice- versa) et qu'au fil des semaines, le lundi et le mardi sont calmes, tandis que tout s'emballe à partir du jeudi pour aboutir à l'hécatombe du week-end. Et les heures dangereuses ? Les connaît-on ? Rouler la nuit pour revenir du week-end. Une hérésie, selon les médecins, qui affirment pendant des années que la nuit est faite pour dormir et non pas pour travailler, encore moins pour rouler sur les routes. Pour ces derniers d'ailleurs, l'heure dangereuse se situe entre 4 h et 6 h. Des chiffres communiqués supra par les services compétents, il ressort que l'explication de l'hécatombe n'a pas été suffisamment fournie ou très superficiellement alors. La cause immédiate d'un accident est constituée par un comportement infractionnel. Celui-ci résulte généralement de l'ignorance des règles, de déficiences physiques, psychiques ou techniques (au sens de la maîtrise des techniques de conduite), d'erreurs ou de fautes délibérément commises. Et l'expérience prouve qu'en réduisant le nombre des comportements infractionnels on réduit le nombre des accidents auxquels ils sont liés, il est indispensable de bien les connaître. L'influence de l'alcool est déterminée à partir du résultat positif par alcootest, et il reste inférieur, puisque le dépistage ne peut être effectué sur les personnes tuées ou celles grièvement blessées... Les accidents ne sont donc pas « accidentels ». S'il y en a autant, c'est que trop de conducteurs ne respectent pas le code de la route (des chiffres communiqués par le conférencier de la DGSN, il a été établi par ailleurs que sur 93 299 contraventions, seul un taux de 6,66% a été honoré). Vitesse, alcool, fatigue, donc non-respect de la loi sont les principales causes de l'hécatombe sur les routes. Et dans une autre proportion (si elle pouvait être chiffrée) l'état des routes et de la chaussée et la vétusté mécanique. Comment réagir ? Par le durcissement du code de la route, la multiplication des radars et le fonctionnement permanent des commissions de wilaya compétentes ? Sans doute, dès lors que c'est le « facteur homme » qui est en cause. Le recensement des points noirs et l'entrée en application du contrôle technique ? A condition de rendre opérationnels et accessibles les centres en question ? Doit-on rendre l'examen du permis de conduire plus difficile ? Peut-être, mais ce serait au détriment des catégories sociales les plus défavorisées, celles où l'on apprend le moins facilement. Et celles qui habitent les zones rurales ou les banlieues éloignées où l'on ne peut se déplacer sans voiture. Former les futurs conducteurs dès l'école ou le lycée ? Encore faut-il doter la DGSN et la gendarmerie de moyens et d'équipements conséquents. Renforcer les campagnes de prévention routière, donner davantage d'informations sur l'état des routes, les meilleurs itinéraires, les heures les moins chargées ? Ce n'est pas inutile. Convaincre les automobilistes qu'ils ont entre les mains des ustensiles dangereux et non pas des jouets ? C'est entrer en conflit avec les campagnes publicitaires de l'industrie automobile, en général, et les concessionnaires, en particulier. En fait, il ne s'agit là que de petites potions. Le vrai remède pour agir sur le « facteur homme » et enrayer l'épidémie routière est le vaccin. Il suffit de l'administrer. C'est le « respect de la loi ». La « peur » du « policier » et du « gendarme » donne à réfléchir. Une présence nombreuse, franche et ouverte sur les routes, en recourant aux leurres s'il le faut comme en Occident pour pallier le manque d'effectifs avant le virage et non pas dans le virage, à l'entrée des villages pour faire ralentir et non pas au milieu pour verbaliser, sur les lignes droites et les routes nationales en patrouilles fréquentes et visibles pour faire respecter la loi. Car laisser faire les irresponsables, c'est inciter les sages à faire à leur tour n'importe quoi. Et à la porte des complexes hôteliers, à la sortie des restaurants, la seule présence, de temps à autre, d'un véhicule de police ou de gendarmerie n'empêcherait-elle pas les conducteurs imbibés de se mettre au volant et n'inciterait-elle pas les propriétaires de ces lieux à prendre au sérieux une petite affiche blanche sur la répression de l'alcoolisme (voilà une idée à concrétiser) qu'ils sont tenus de placarder dans leurs établissements ? Donc, le vaccin contre l'accident existe : une bonne police et une bonne gendarmerie placées où il faut, au service des usagers de la route. C'est aux pouvoirs publics d'y veiller et de dégager les crédits nécessaires (et aux parlementaires de les voter massivement) et à chacun de persévérer dans l'effort.