Je reviens à Alger comme on revient à l'amour. Et dès que j'évoque, comme résumés les sons et les parfums de cette ville cela remplit mes oreilles et mes narines. Et quoi qu'il arrive, ce sera toujours à elle que je reviendrai, à sa blancheur légendaire, aux jardins fouillis remplis de jasmins et de lilas, à ses hommes et femmes vifs et nerveux et qui savent l'indolence. » La citation n'est pas de nous, mais elle est d'Alain Vercondelet. Cet auteur qui a séjourné un temps à Alger a su rendre dans une écriture pondérée le temps révolu de la cité des Beni Mezghena. On s'y croirait presque. De nos jours, la réalité est tout autre. Elle a changé, mais guère en mieux. Square Port Saïd, jardin de Tunis, parc de la Liberté, parc des Pins, Jardin d'essais sont autant de noms qui nous disent l'ambiance glauque dans laquelle se trouvent ces espaces de détente et de farniente. Ces jardins sont, pour la plupart, conçus par le génie des « premiers bâtisseurs » en escalier pour épouser les contours abrupts de la ville d'Alger et rejoindre, sans coups férir, les boulevards dans leurs deux extrémités. Ce n'est pas le bazar, mais ça y ressemble, diront certains avec le sourire. Les venelles ne fleurent plus les senteurs de jadis. Et la ménagère de plus de 50 ans qui autrefois embellissait avec des couleurs chatoyantes son balcon s'est tue. Il serait pour cela farfelu de vouloir « faire le croquis » de tous les jardins d'Alger, tellement les choses se sont empêtrées ces dernières décades. Preuve en est, les jardins d'Alger-Centre qui sont censés montrer un visage plus gai de la ville. Le jardin qui se trouve sur le boulevard Khemisti en face de la Grande-Poste n'est guère mieux loti, puisque, de l'avis de nos interlocuteurs rencontrés dans cet espace, il dépérit au fil des temps dans l'indifférence des responsables locaux qui ne lorgnent de ce côté qu'à l'occasion de manifestations bien précises. Le jardin qui communiquait avec les autres a perdu de son faste d'autrefois. Les arbres, ou se qu'il en reste, ont été mal ou pas du tout élagués par les agents de l'Edeval. De plus ils étouffent sous une couche de béton mal jeté qui a « mangé » la presque totalité de l'espace. Par ailleurs, des personnes, croyant bien faire, s'en prennent à ces statuettes de bronze. « On les déboulonne hargneusement dans la nuit de leur piédestal, sans qu'elles soient pour autant remplacées par d'autres. » « Cela rappelle un temps qu'on croyait révolu où l'on agressait nos filles dans les rues parce qu'elles osaient ,suprême hérésie, marcher dans la rue sans s'emmitoufler dans le djilbab », tonne un homme d'un certain âge rencontré sur les lieux. Il ajoute, d'une voix teintée, que « c'est tout pareil avec ces esprits obtus qui, croyant bien faire, barbouillent de blanc les caractères latins des plaques signalétiques ». S'y ajoute, pour notre grand dépit, le manque de bancs occupés dans la journée par une ribambelle de « marginaux » qui s'adonnent, sans se soucier outre mesure à leur petit péché mignon. De plus, ce jet d'eau censé égayer cet « enclos » qu'on a installé dans la ferveur. A un jet de pierre, le parc Sofia apparaît sous des dehors un tantinet slave. A l'opposé du premier, la statue érigée au milieu du parc est toujours là, à narguer la bêtise humaine. Signalons que le jardin est squatté, il y a de cela belle lurette, par une famille. Aussi le lieu sent-il l'urine, du fait surtout des latrines qui s'y trouvent. Plus loin, se trouve le square Port Saïd avec ses traînées de crasse, de carrelages défoncés, d'arbres décharnés. « Plus rien n'est comme avant. Les kiosques à musique d'antan sont devenus de vulgaires échoppes pour choux ». Même constat à la périphérie d'Alger. Le parc de Tunis et celui des Pins sont laissés en jachère. Les Algérois, désespérant de voir changer la situation, se rabattent sur ces bandes vertes au bord de la route ! En témoignent ces petites gens qui s'amassent en fin de journée à la rue Francklin Roosevelt pour y mener grand bruit.