Je savais qu'il était très malade, mais je n'ai pas cru l'information, ce matin du samedi 1er novembre 1989. La voix du speaker de la Chaîne III annonçant la mort de Mustapha Kateb me glaça sur mon siège. Choc brutal. Pour quelques secondes, j'ai failli oublier que j'étais au volant de ma voiture. Je ne pouvais y croire. Cet homme que j'ai côtoyé, cet esprit si ouvert disparaît ? Mais je devais vite revenir à l'évidence. Mon ami est bien mort. En août déjà, quand j'étais allé chez lui, j'ai senti qu'un mal incurable le rongeait. Il n'était plus cet intellectuel avide de débats et d'échange d'idées. Combien de fois sommes-nous arrivés dans nos débats au « non-retour », mais ce jeune-vieux calmait toujours le jeu, reprenait la discussion à zéro et repartait toujours égal à lui-même, souriant, un peu « aristocratique », mais jamais paternaliste ou égoïste. Pour cet homme de 69 ans, à l'époque, l'âge n'était jamais un prétexte à une quelconque supériorité de quelque nature qu'elle soit. Il aimait toujours apprendre, même des plus jeunes. Ses plus grands ennemis, il les respectait et leur reconnaissait la valeur de leurs idées, parfois diamétralement opposées aux siennes. Comme son défunt cousin Kateb Yacine, Mustapha Kateb, est parti avec ses principes, son amour inaliénable du classicisme dans les arts, son acharnement à vouloir défendre cette option théâtrale puisant sa sève dans cette grande culture arabo-musulmane. Pour des idéaux différents et des causes quelquefois insolites, Mustapha Kateb rejoint Kateb Yacine dans la contestation et la controverse. Le destin cruel et moqueur les a rappelés à leur dernière demeure le même jour. N'est-ce pas là une preuve fatidique que nos différences sont faites pour nous rapprocher davantage ? Président de la troupe artistique du FLN à partir de 1958, Mustapha Kateb rejoint, dès l'indépendance, le Théâtre national algérien, dont il devient le directeur en octobre 1965. Sous sa houlette, l'école de Bordj El Kiffan spécialisée dans le théâtre et la chorégraphie est créée en 1969. De 1966 à 1972, le Théâtre national algérien (aujourd'hui théâtre Mahieddine Bachtarzi) a connu ses plus belles années de gloire. Intellectuel à l'esprit avisé et ouvert, Mustapha Kateb a même créé une section chorégraphique qui est devenue aujourd'hui une véritable institution indépendante du théâtre Mahieddine Bachtarzi. Déjà, presque seize ans depuis que Mustapha Kateb est mort et je n'arrive toujours pas à trouver un homme de théâtre algérien de son envergure. Les hommes rares sont presque irremplaçables !