Un jeune cambiste informel squatte à longueur de journée la place du 1er Novembre 1954, face au TRC et la recette principale de la poste, à Constantine. S. M., 27 ans, a investi ce créneau du change parallèle il y a de cela deux années presque jour pour jour. A l'origine, il ne comptait pas végéter longtemps à jouer les apprentis banquiers. Mettre 10 ou 15 briques de côté, puis se tirer vite fait « vers des horizons lointains, néanmoins cléments, en tout cas beaucoup plus qu'ils ne le sont dans les murs de cette cité mortelle ». Mais voilà, le sort a voulu qu'il s'incruste « malgré (lui) » dans ce registre, trop pris sans doute par la facilité d'une tâche qui peut s'avérer juteuse pour qui sait faire preuve d'audace mais surtout d'« esprit d'entreprise » vis-à-vis des moult particuliers, entrepreneurs ou promoteurs de leur état, installés en affaire avec des partenaires étrangers. Ces derniers ont toujours besoin de liquidités en devise pour une commande d'un pack de pièces de rechange ou carrément d'une grosse machine industrielle. Et c'est justement ce qu'a prétendu un trio de jeunes hommes, à l'allure B.C.B.G., à notre cambiste pirate de tantôt ce jeudi en fin de matinée, près de son emplacement habituel à l'entrée de Rahbet Edjemel. Prétextant la consistance de la somme qu'ils comptaient acquérir auprès de lui (18 000 euros), ils lui proposèrent de les accompagner à un café situé au niveau de l'avenue Aouati Mustapha pour procéder à la transaction de l'opération engageant donc, selon eux, pas mois de 2 millions de dinars (soit 200 millions de centimes.) A ce moment précis, S. M. ne disposait sur lui que de 4500 euros. « J'allais commettre l'irréparable et les suivre les yeux dans la poche, n'était l'extrême jeunesse de mes trois vis-à-vis. Ce qui m'a intrigué au plus haut point. Ils prétendaient disposer d'une usine dans la banlieue d'El Khroub et d'un entrepôt de matériel lourd à Aïn Smara. On ne peut accéder à pareille situation, pas à un si jeune âge en tout cas. » Qu'aurait-il advenu de S. M. si la cupidité l'avait aveuglé ? Certainement le même funeste sort que son jeune collègue délesté de plus de 6000 euros l'année dernière à pareille époque et laissé pour mort sur le bitume de Oued El Had, ou encore (fait plus dramatique) égorgé de bout en bout puis abandonné dans la décharge publique comme cela a eu lieu il y a de cela quelque temps dans la banlieue ouest de la ville. En attendant, des sommes énormes de devises fortes (euro mais aussi dollar, livre anglaise, franc suisse ou riyal saoudien) continuent à être trimballées à la légère par des cambistes au courant des risques et périls qu'ils encourent au quotidien. « Mais, que voulez-vous, c'est cela ou aller commettre des impairs beaucoup plus répréhensibles », dixit notre incorrigible miraculé.