La sortie médiatique du directeur général de la police, Ali Tounsi, qui a animé samedi une conférence de presse largement couverte par la presse nationale qui en a fait l'événement du jour a donné lieu à d'abondants commentaires dans les milieux politico-médiatiques qui ont tenté de cerner la portée des messages en clair ou en langage codé que le premier policier du pays a délivrés au cours de cette rencontre avec les médias. Tout d'abord, le timing de la programmation de ce rendez-vous avec les journalistes. Depuis qu'il est à la tête de la DGSN, M. Tounsi s'est forgé la réputation d'un responsable qui n'affectionne pas particulièrement les conférences de presse pour les conférences de presse, pour satisfaire un ego cathodique. Lorsqu'il se résout à animer une conférence de presse, c'est qu'il a forcément des choses importantes à dire, des messages à faire passer. Et des messages, il y en avait à profusion tout au long de la conférence de presse au cours de laquelle M. Tounsi a eu à s'exprimer sur des questions relevant de ses compétences naturelles, la sécurité publique dans ses différents compartiments : terrorisme, banditisme... mais pas seulement. Bien que très attendu par l'opinion sur ces dossiers pour savoir où nous en sommes avec le phénomène du terrorisme qui revient au-devant de l'actualité avec les attentats meurtriers de Londres, c'est surtout les commentaires et les incursions du directeur général dans des dossiers stratégiques relevant d'autres champs de compétence, telle la question très controversée de l'amnistie, qui auront retenu l'attention des analystes. Tout d'abord, qu'est-ce qui pouvait justifier la tenue de la conférence de presse de Ali Tounsi maintenant ? La fête nationale de la police ? Le 19 mai est encore loin. La première réponse qui viendrait à l'esprit est bien évidemment suggérée par les attentats terroristes de Londres qui pouvaient inciter le patron de la police algérienne, fort instruit de l'expérience algérienne en matière de lutte antiterroriste, à rappeler des vérités à nos partenaires étrangers qui ont alimenté et soutenu les activistes islamistes algériens et les autres de tout poil dans leur plan de déstabilisation du pays avant que ces capitales ne subissent à leur tour le retour de flamme. Et pourtant , il est parfaitement établi qu'il n'y a aucun lien entre ces deux événements. Les invitations à cette conférence de presse sont parvenues aux rédactions il y a plusieurs jours déjà, bien avant les attentats de Londres. Cette hypothèse évacuée, même si le drame qui a frappé la Grande-Bretagne ne pouvait pas ne pas s'inviter à cette conférence de presse et inspirer les questions des journalistes, il apparaît clairement que c'est sur des questions nationales de l'heure que Ali Tounsi voulait s'exprimer. Sur le terrorisme d'abord, il n'aura pas apporté d'éléments nouveaux, que ce soit sur l'état de la situation sécuritaire en rappelant que le terrorisme est dans sa phase déclinante tout en reconnaissant l'existence encore de centaines de terroristes en activité, ou encore sur le recyclage des groupes terroristes dans le banditisme et le crime organisé. Jusqu'à cette information qui a fait la une de tous les journaux selon laquelle des fortunes ont été bâties à l'ombre du terrorisme par les activistes islamistes ; une information qui avait déjà circulé avec à l'appui des enquêtes de certains journaux sur l'argent du racket qui avait valu des procès intentés par des chefs terroristes dont les noms ont été cités par ces journaux, notamment El Khabar. Le patron de la DGSN, qui a révélé que ses services ont ouvert des enquêtes sur ces fortunes acquises grâce à l'argent du terrorisme, a livré consciemment ou non une information de taille en soulignant que le travail d'investigation engagé par ses services a été interrompu. Par qui et pour quel objectif inavoué ? Le patron de la DGSN a répondu partiellement à cette interrogation qui risque d'être mal interprétée par les sphères politiques et de décision en précisant que les textes réglementaires sont aujourd'hui réunis pour permettre aux services de sécurité et à d'autres structures d'enquêter sur ces fortunes douteuses. On pensait que dans les rouages de l'Etat la cause de l'amnistie ou de la réconciliation nationale - c'est ce dernier vocable qui est désormais utilisé dans les discours officiels - était entendue, surtout après la confirmation par Bouteflika de la tenue du référendum sur cette question. Les éléments d'appréciation sur la situation sécuritaire livrés par Ali Tounsi de manière sèche, avec le regard froid d'un policier qui ne s'en tient qu'aux faits et aux chiffres puisés des réalités sur le terrain, relance le débat sur la démarche politique relative au projet d'amnistie qui est loin de faire l'unanimité au sein de la société. Derrière l'affirmation du patron de la police annonçant sur un ton rassurant que « l'Etat a opté pour d'autres méthodes pour en finir avec le terrorisme » - allusion faite bien entendu au projet d'amnistie -, se profilent, dans les propos tenus par Ali Tounsi sur le phénomène du terrorisme dans ses fondements doctrinaux, ses origines, ses objectifs, des éléments de débats qui vont carrément à contre-courant de l'idée de l'amnistie en tant que projet politique endossé par Bouteflika dans l'espoir de rétablir la paix définitive dans le pays. Les contours de l'amnistie Lorsque le directeur général de la DGSN annonce que certains terroristes repentis se sont recyclés dans le banditisme, que des fortunes colossales ont été bâties avec l'argent rouge sang du terrorisme, lorsqu'il affirme que « nous sommes prêts à pardonner mais pas à oublier », il trace explicitement les contours politiques du projet d'amnistie. Soit le patron de la DGSN, que ses missions de sauvegarde de la sécurité publique n'invitent pas logiquement à intervenir dans un tel débat, a été mandaté par le pouvoir politique pour rappeler de la manière la plus officielle ces vérités qui sont de notoriété publique. Soit il se fait l'écho d'un courant des sphères du pouvoir qui n'entend pas cautionner « une paix des braves » en passant l'éponge sur les crimes et les drames vécus par le pays au cours de cette décennie rouge. Dans le premier cas de figure, on peut penser qu'en rappelant aux terroristes et à leurs chefs qu'au-delà de leur implication dans des affaires de crime les pouvoirs publics détiennent contre eux des dossiers accablants de droit commun au cas où les charges pesant déjà sur eux ne suffiraient pas, le pouvoir cherche à accroître la pression sur les groupes terroristes encore en activité et ceux qui ont déposé les armes pour les amener à capituler en position de vaincus en contrepartie de la mansuétude de l'Etat. La seconde lecture à faire des propos de Tounsi confine à penser que des forces au sein du pouvoir sont en train de ferrailler pour ramener le projet d'amnistie qui semble prendre des voies tortueuses dans son cadre légal.