Ils regardent, l'œil ouvert, en passant. Ou s'arrêtent, curieux, interpellés par la multitude de formes et de couleurs affichées. Quadragénaire bien habillée qui estime du menton le prix de l'objet en l'imaginant dans son salon. Jeune couple amoureux en attente de confort et d'esthétique. Deux jolies filles sont scotchées à la vitrine. Elles hésitent. Faut-il entrer ? Trop cher sûrement, se disent-elles. A l'intérieur, des objets de toutes sortes, du cendrier universel en couleurs 3D au gambri marocain, ex-guitare du pauvre aujourd'hui collector pour riches, en passant par le tableau d'art, pièce unique numérotée. Le local, c'est cette nouvelle boutique d'objets d'art et de décoration au bout du boulevard du Télémly, face au Palais du peuple, là où les piétons attendent toujours un taxi pour El Biar. Le global, c'est Abderrahamane Kahlane, peintre debout, assis sur une commode très chère à vendre, à fumer une cigarette dans un gobelet en plastique qui a contenu du thé. Comme son nom ne l'indique pas, Kahlane vit à Paris mais vient souvent à Alger parce qu'il est d'ici. Globalement, il peint. Sur toile, sur verre, sur verre en verre et poterie en terre, sur des gassaâte à couscous posées par terre, globalement sur n'importe quel objet prêt à accueillir ses motifs géométriques ethniques, petites spirales, serpents magiques, points noirs cosmétiques et triangles colorés, seul héritage des ancêtres qui se vend très bien dans le monde. « De l'art décoratif ? » « Oui », répond-il, ce n'est plus péjoratif. « Je travaille aussi pour vivre », ajoute-t-il, ceci devant expliquer cela. Le local, c'est donc Dar el yaqout, magasin d'art et de décoration, estimé à 70 000 DA par mois, autant dire une fortune pour vendre des choses en théorie très chères. L'objet le moins cher du local ? Un collier africain de coquillages à 120 DA moins la ristourne. Le plus cher ? Une armoire chinoise en bois de rose laqué, à 200 000 DA, évidemment négociables. Il y a, d'ailleurs, beaucoup d'objets chinois. « Non non, ça n'a rien à voir avec le fait qu'il y ait beaucoup de Chinois à Alger », répond Sofia, gérante et propriétaire du local. C'est tendance. Robes chinoises, mobilier chinois, paravents, commodes et éventails (éventaux ?) du même pays. Le global, c'est donc Abderrahmane Kahlane, peintre globalisant, silencieux et l'esprit ailleurs. La peinture a-t-elle une adresse ? En dehors du 148, boulevard Krim Belkacem et de sa proximité avec l'Ecole des beaux-arts, la question est : l'indolent chaos d'Alger inspire-t-il plus le peintre que l'uniformité parisienne ? « Oui », répond le global. Mais pas plus. Le local n'a pas d'avis particulier sur la question. Mais elle reste agréable, comme il est toujours agréable de voir une boutique d'art et de décoration ouvrir là où il y avait un fast-food, un vulcanisateur ou un vendeur de chaussures de marche. Pour le global, il y a d'ailleurs un CV : expositions à Paris et à Alger, Sofitel et El Aurassi, que de bonnes références. Même si son obsession de la main de Fatma rend la chose un peu vague, ce motif ayant tellement été utilisé qu'il pose une question fondamentale à l'artiste algérien ; y a-t-il quelque chose d'autre que ce motif d'origine carthaginoise comme brique fondamentale de l'Algérie figurativement aliénée et qui s'est réfugiée dans l'abstrait géométriquement correct ? Ce n'est pas vrai, il y a aussi le lézard, animal fétiche situé entre le bien et le mal et dont Kahlane, à l'instar d'autres artistes algériens, intègre dans ses œuvres. Localement, en dehors des acryliques du global Kahlane, il y a donc de tout. La jolie gérante au nom de square s'explique sur la difficulté d'approvisionnements ; objets traditionnels du Maroc, dont l'importation est sujette à d'immenses tracasseries pour cause de conflit frontalier entre voisins maudits. Sculptures et masques d'Afrique subsaharienne, dont les ressortissants établis à Alger commencent à peine à en fabriquer sur place. Ou du port d'Alger, par containers entiers. Et bien sûr le global, dans la peau de Kahlane, qui a rencontré Sofia et son local, et qui vend ses toiles dans la boutique même. Le vernissage aurait lieu ce mercredi à partir de 14 h. Thé, gâteaux maison. Dont le fameux griwech, objet d'art à lui tout seul, dont la forme intrigue encore les physiciens. Dar El Yaqout. 148, boulevard Krim Belkacem, Alger