Un livre de Slimane Benaïssa est toujours une agréable surprise. Les Colères du silence ne déroge pas à la règle. L'auteur, aux multiples facettes, porte un regard lucide sur l'exil et la mort. Sur la vie. Sur la mort dans la vie. Un livre sur l'Algérie, sur la France de l'exil. Un livre poignant. L'exil est solitaire. Il peut être fécond, salvateur, prolifique mais toujours solitaire. Comme la mort. On porte toujours avec soi son pays, ses disparus. Les morts ne nous quittent jamais, le pays non plus. Le dernier livre de Slimane Benaïssa, Les Colères du silence, éditions Seuil, est une conjuration contre l'exil, les exils. Hassan et Hossein sont des frères siamois séparés à la naissance, qui ont grandi avec le sentiment d'avoir été arrachés l'un à l'autre. Hassan disparaît sous les décombres de la mosquée où il se trouvait lors d'un séisme. Toutes les métaphores ne sont pas fausses. Hossein quitte l'Algérie pour la France. L'exil commence, le deuxième après celui de la séparation natale. « Empli d'une colère silencieuse, à la recherche d'une identité introuvable, Hossein découvre que l'exil n'est qu'un faux départ et qu'il est condamné à espérer sans fin le terme de son voyage », note l'éditeur. Au fait, dès les premières pages, on comprend que Slimane Benaïssa a toujours l'Algérie chevillée au corps, que son exil parisien lui pèse. Que son engagement littéraire est un devoir pour les absents et une planche de salut. En exil en France depuis février 1993, l'auteur des Fils de l'amertume, Prophètes sans Dieu, Mémoires à la dérive n'a toujours pas digéré son exil forcé. Ni la perte de ses nombreux amis, tués par les fous de Dieu pour leur engagement ou simplement parce que écrivains, poètes ou journalistes. Il leur a déjà rendu hommage dans Les Fils de l'amertume. « Cet ouvrage est un hommage à tous les intellectuels et amis assassinés en Algérie. S'il ne leur redonne pas la vie, il se veut en tout cas dans la continuité de leurs espoirs. C'est mon unique manière de faire de mon impuissance face à l'histoire une puissance pour l'histoire. » Ecrivain, metteur en scène et comédien, l'enfant de Guelma a réussi le formidable pari de passer de l'arabe populaire à la langue de Molière avec une aisance insolente. Tout comme son passage du théâtre au roman. Est-on dépossédé de son identité en traversant la Méditerranée ? Pour Slimane Benaïssa, la réponse est à la fois positive et négative, simple et complexe. Sur le plan créatif, la question ne se pose pas. La culture a déserté Alger depuis longtemps, depuis le parti unique. Et comme ce dernier, la désertion dure encore. L'auteur a connu tous les soubresauts d'une indépendance confisquée, détournée. Son récit est un cri de douleur, de solitude. Les intégristes ont trouvé un lit douillet, préparé inconscient ou sciemment par ceux qui maintenaient par perfusion un système inique, pervers. Les Colères du silence sont nombreuses, toutes justes. C'est celle d'un peuple trahi, brisé par une élite affairiste. Nous avons tous perdu un frère en Algérie, un frère siamois. C'est soi-même. Notre innocence sacrifiée. Nous avons peut-être perdu le meilleur de nous-même. Alors, quelquefois, les colères gagnent à prendre de la voix. A briser le silence.