IV. Cycle économique capitaliste mondial et circuits économiques partiels des pays pétroliers dominés 1. La rente pétrolière est-elle un revenu « maudit » ? Dans les développements précédents, nous sommes parvenus à certains résultats que nous reprenons pour continuer notre réflexion dans les domaines de la répartition et de la redistribution de la rente pétrolière. Mais il faudrait distinguer entre les conditions de production du produit social ou du revenu national et les formes politiques et idéologiques de ses utilisations. Dans le domaine des économies régies par la production de la rente pétrolière, les incursions de l'idéologique et du politique, aussi bien dans le procès de production que celui de la répartition de ce revenu sont fréquentes et toujours indispensables pour rendre crédible une orientation au détriment d'une autre : Par exemple, que faut-il penser des positions de ceux qui cherchent à nous faire croire que, de prime abord, les revenus de la rente foncière et ceux de la rente pétrolière surtout, sont « automatiquement » de nature parasitaire ? Veut-on nous faire comprendre par là, que quoi que nous fassions, et malgré l'importance de ces revenus, nous serions condamnés à ne pas nous développer parce que nous nous « approprions » une rente, et qui plus est une rente pétrolière ? Le « développement » ne pouvant venir que de ceux qui font l'offre de mettre en pratique leurs idées et « mettre à notre disposition » leurs richesses matérielles ? Ne faudrait-il pas alors remercier la fatalité pour cette richesse, qui n'est pas venue du ciel, mais qui a émergé des entrailles profondes de notre terre, grâce aux efforts combinés de la science et du grand capital industriel ? Et si la richesse est là, les moyens de l'enrichissement doivent être protégés dans et par l'organisation du circuit pétrolier et son intégration durable dans le cycle économique et social du système capitaliste mondial ! D'où alors, pour ne pas verser dans des positions idéologiques et tenter de les faire passer en contrebande, comme des leçons de l'expérience du développement, il suffit de voir comment dans beaucoup de pays les revenus de la rente foncière ou pétrolière sont devenus des moyens d'accumulation et de croissance. L'Algérie a tenté une brève expérience de développement industriel, expérience qui a été vite étouffée et de plusieurs manières. L'étouffement de cette courte étape de 1970 à 1980, ayant été organisé par la conjonction de facteurs multiples externes et internes. Ce serait trop sommaire et aussi inacceptable de croire ou de faire croire que ce processus de développement a été bref parce qu'il était régi par des revenus d'origine pétrolière ! Faut-il alors attendre l'épuisement de la rente pétrolière pour devenir « candidat au développement » ? Les auteurs de telles thèses veulent nous faire croire qu'une fois les revenus des rentes pétrolières perçus par les pouvoirs d'Etat des pays dominés, le processus économique doit opérer sa propre extinction, en se convertissant en un immense pouvoir d'achat qui trouve sa satisfaction dans le marché capitaliste international. Le circuit se ferme sur la consommation, et il doit recommencer ainsi indéfiniment. Ce qui change, c'est le prix de la matière pétrole qui détermine la grandeur du pouvoir d'achat. Mais les arrangements sont toujours possibles, si on reste dans cette logique, celle de la production pétrolière, de la conversion du produit en argent et de la multiplication des processus d'approvisionnement et de transfert dans le marché extérieur du système capitaliste mondial. C'est dire alors que nous sommes en présence de deux logiques économiques qui s'interpénètrent, dont les interdépendances sont multiples et différentes : Des logiques de politiques économiques et des logiques de politiques de développement qui trouvent leurs places, leurs fonctionnements - en un mot - leurs insertions soit dans le cycle économique du grand capital, soit dans les circuits économiques des pays dominés producteurs de produits pétroliers. D'où, il faudrait clarifier ce que l'on entend par politique économique et politique de développement ou de croissance. Comment les situer dans le cycle long du capitalisme mondial et dans le circuit économique des pays dominés producteurs de pétrole. Cette distinction entre cycle et circuit, et entre politique économique et politique de développement nous aide énormément à comprendre pourquoi et comment il y a un processus d'avortement qui est déterminé par un détournement, un échec aussi de la conversion du revenu pétrolier, de la rente pétrolière en revenu pour le développement et la croissance. V. Les traits de la politique économique et de la politique de développement 1. La politique économique, ses fonctions dans le circuit des pays dominés La politique économique exprime les modalités d'action d'un pouvoir d'Etat sur l'espace économique donné d'un pays, d'un ensemble de pays ou d'un système économique et social. Le pouvoir d'Etat représente la force concentrée des intérêts d'une classe sociale ou d'une coalition de plusieurs classes, couches, groupes sociaux qui trouvent leur concrétisation dans la politique économique suivie. Celle-ci prend forme dans l'activité productive, d'échange, de distribution, de redistribution et de consommation des biens matériels et immatériels qui sont mis à la disposition des forces sociales qui composent une société. Les institutions de l'Etat sont alors mobilisées pour suivre, sur le terrain, les procédures de régulation et de réalisation de ce qui fait la politique économique. Dans son registre concret, la politique économique comprend l'ensemble des dispositions concernant la politique de production, de commercialisation, de répartition et de consommation. Ce qui se traduit par des approches et par l'application de méthodes d'approvisionnement, d'exportation, d'importation, par des politiques salariales, des politiques fiscales et autres politiques qui concernent les facettes immédiates du processus qui est censé réaliser les objectifs de cette politique économique. Nous retiendrions alors pour la suite : La politique économique peut être approchée et saisie comme un circuit social à trois facettes principales - idéologiques, politiques et économiques -, qui est mis en mouvement par le miroitement des intérêts des clans, des groupes, des couches et des classes sociales et qui s'agrippent au tronc principal formant le pouvoir d'Etat. Dans le cas des pays et des peuples dépendant du système mondial du capitalisme, ce circuit social est toujours ancré dans sa matrice principale et originelle qui est le cycle économique et social du capitalisme mondialisé. 2. La politique de développement et ses objectifs La politique de développement est la concentration volontaire et ciblée des forces du pouvoir d'Etat pour transformer les rapports économiques et sociaux, pour créer de nouvelles forces productives en mobilisant la société, afin de parvenir à un autre niveau de vie et de mieux être des classes sociales créatrices de richesses matérielles, culturelles, scientifiques, artistiques et autres. La politique de développement soumet le revenu national de la société à de fortes tensions dans sa répartition et sa redistribution. Cela pour créer de nouvelles forces productives, de nouvelles capacités de création. Pour réaliser ses objectifs, la politique de développement se dote d'une politique économique qui prend en charge les moyens de réalisation de ces objectifs en mobilisant les institutions et les forces sociales dans les différents domaines concernés par les nécessaires transformations. Elle met alors la politique économique au service des objectifs de la politique de développement. Il s'ensuit alors une disposition hiérarchisée et prioritaire des buts de la politique de développement par rapport à ceux de la politique économique. Celle-ci devient un ensemble de tâches économiques, politiques et sociales qui sont coordonnées dans l'espace et dans le temps pour réaliser les objectifs de la politique de développement. Mais dans la réalisation de ses objectifs, la politique de développement rencontre une multiplicité d'obstacles. L'obstacle dressé par les institutions du capitalisme mondial quand elles détectent dans la politique de développement d'un pays, qui fait partie de la division coloniale et postcoloniale du travail, une volonté de libération et d'émancipation économique et sociale. Nous ne confondons pas entre volonté d'indépendance d'un pays colonisé et sa volonté de libération et d'émancipation politique et sociale. Dans l'échec de la politique de développement, les transformations qualitatives qui ont lieu dans la nature du pouvoir d'Etat local ou régional, sa mise en adéquation avec les injonctions du système capitaliste mondialisé sont déterminantes non seulement dans l'avortement de la politique de développement en voie de réalisation, mais aussi dans la conversion progressive de cette politique de développement en politique économique. Cet échec devient une véritable pompe aspirante pour faire émerger de nouvelles équipes ou faire réapparaître d'anciennes équipes mises en état d'oubli calculé ou placées en « état d'hibernation » ou de « veille stratégique », en attendant des circonstances adéquates qui garantissent des gains et des avantages composés, présents et futurs. En attendant d'élargir le champ de réflexion au cycle et au circuit économique et leurs places respectives dans l'organisation de la politique de développement ou de la politique économique, régies par les revenus pétroliers, il y a une question qui ne peut pas être éludée concernant l'Algérie. L'Algérie a vécu un processus d'avortement de sa politique de développement, celle de 1967 à 1980, pour voir se substituer à cette orientation, successivement, graduellement, entre 1980 et 2005, des types de politiques économiques qui oscillent entre les conceptions libérales, néolibérales avec des poussées ultralibérales. Mais toutes ces formes de politiques économiques travaillent à l'insertion, à l'approfondissement et à l'engagement durable du circuit économique algérien dans le cycle économique et social du système capitaliste mondialisé. La question est : quels sont les facteurs explicatifs du passage graduel puis abrupt de la politique de développement des années 1960-1970 à la politique économique du pouvoir d'Etat à partir des années 1980 jusqu'à nos jours ? Peu d'explications satisfaisantes ont été avancées. Nous proposerons, dans la suite, des réponses explicatives de ce processus complexe d'abandon des volontés du développement. Il y a eu un processus lent, silencieusement douloureux d'avortement économique et social de l'ancienne politique de développement ! Les politiques économiques libérales qu'on cherche à greffer sur les débris vivaces de la politique de développement expliquent aussi pour beaucoup les résistances au décollage... Quels sont les ressorts profonds et internes qui ont été mis en mouvement pour amorcer et amplifier le processus de substitution de cette politique économique à la politique de développement précédente ? L'approche ou l'explication exclusivement comptable par la dette et l'endettement dus à l'extension inconsidérée de projets d'industrie et d'industrialisation ne peuvent pas être retenus comme arguments convaincants : pourquoi les causes de l'endettement n'ont pas été profondément analysées ? La dette et l'endettement, dit-on, ayant asséché les revenus de la rente pétrolière, sont explicatifs de la réorientation de « la politique de développement ». Pourquoi la structure de la dette n'a pas été exposée en détail pour instruire le citoyen de la chose, puisque la vie de ce citoyen et son devenir en dépendent ? Ne lui fait-on pas encore payer tout cela ? L'autre argument que l'on trouve à côté de celui de la dette et de l'endettement est celui de la mauvaise gestion. Argument amplifié par les responsables de la finance et des institutions du capitalisme international. La mauvaise gestion est cependant jusqu'à aujourd'hui toujours là ! N' a-t-elle pas encore empiré ? Ne forme-t-elle pas le socle ou la matrice à partir de laquelle s'organisent les malversations de plus en plus amplifiées et diversifiées ? La dette est toujours là. Plus supportable, dit-on. En attendant peut-être le prochain état d'assèchement des revenus pétroliers ? Mais la politique de développement n'est plus là. Un développement pensé, organisé d'une façon consciente et prioritaire par les forces sociales de notre société, celles travailleuses, compétentes, honnêtes, pouvant former le noyau social de l'orientation du développement, celle capable de mieux comprendre les enjeux et les possibilités offertes par la mondialisation en cours. C'est dire alors qu'il n' y a pas lieu de minimiser ces causes ou ces facteurs importants qui ont contribué de près ou de loin au processus d'avortement de la politique de développement et sa conversion en politique économique. Mais ils ne sont en aucune façon les causes profondes. Car le passage de la politique de développement à la politique économique, qui a été présenté comme un choix obligé sous contraintes externes, doit aussi être expliqué par des séquences structurelles liées aux impératifs du pouvoir d'Etat. Ne doit-il pas proposer un type d'utilisation, de répartition et de redistribution des revenus pétroliers. Nous verrons par la suite, dans un cadre plus large, qui englobe des types de pays pétroliers, comment un ensemble déterminé de relations et d'utilisation de la rente dans ce marché du système capitaliste, engendre un profil, un type de structures économiques et sociales qui organisent le mouvement au sein des circuits économiques des pays producteurs.