L'espoir de voir la justice rendue s'est volatilisé, mercredi 11 août, au palais de justice de Abane Ramdane, à Alger. La prison ferme a été confirmée en appel. Mohamed Benchicou ne quittera son cachot à El Harrach qu'après qu'il ait purgé sa peine. « Deux ans, c'est trop », pour reprendre la phrase de Me Khaled Bergheul, avocat de la défense, lâchée à l'annonce du verdict. « C'était une sanction très sévère. Nous sommes vraiment déçus », a-t-il ajouté. L'indignation succède ainsi au choc. Qualifié de « politique » par la défense, le procès n'a pas manqué de provoquer la consternation de la corporation des journalistes, des militants et des organisations des droits de l'homme. La colère « rouge », manifestée mercredi dernier par les membres de la famille de Benchicou, a eu un effet boule de neige. La mauvaise nouvelle s'est propagée telle une traînée de poudre dans le monde entier, suscitant tantôt la condamnation, tantôt l'indignation. L'information a été largement répercutée par les agences de presse internationales ainsi que par des journaux francophones, basés surtout en France. Reporters sans frontières (RSF) se dit « indignée ». Dans une déclaration rendue publique jeudi 12 août, RSF dénonce ce qu'elle a qualifié de « justice inique », en considérant que « le pouvoir fait payer à Mohamed Benchicou le prix fort de sa liberté de parole ». « Avec ce verdict inique, le Président Bouteflika montre qu'il ne tolère pas qu'on s'attaque à lui, lançant la machine judiciaire aux trousses des journalistes qui osent encore le critiquer », a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de RSF, cité dans la déclaration. « Durant ces dernières semaines, les atteintes à la liberté de la presse ont augmenté de façon vertigineuse en Algérie et les peines de prison pour les journalistes ont été confirmées en appel, voire aggravées », a-t-il ajouté. « Nous sommes abasourdis par la sévérité du verdict condamnant Mohamed Benchicou », est-il souligné encore dans la déclaration. RSF juge que « l'infraction au contrôle des changes est un prétexte pour faire taire ce journaliste mais aussi pour mettre en garde tous ceux qui ont osé critiquer le Pouvoir », revenant au passage sur le cas de Hafnaoui Ghoul, dont elle estime qu'il a été incarcéré « pour outrage et diffamation » suite aux révélations publiées dans un journal sur « les abus et outrances dont se sont rendus coupables des puissants de la région (Djelfa, ndlr) ». L'organisation fait en outre un lien direct entre la condamnation de Benchicou et le « pamphlet » qu'il avait publié en février 2004 intitulé : Bouteflika : une imposture algérienne. Elle rappelle également que « depuis un an, nombre de journalistes de la presse privée algérienne sont la cible d'un harcèlement judiciaire sans relâche », soulignant au passage la suspension du Matin et la vente aux enchères de son siège, sis à Hussein Dey, Alger. De son côté, le Syndicat national des journalistes (SNJ) condamne « avec une extrême vigueur ce verdict inique ». Kamel Amarni, membre du bureau, estime qu'« il ne pouvait en être autrement s'agissant d'une machination de l'appareil judiciaire ». « Indigné, le syndicat n'est nullement surpris, sachant que le Pouvoir a bien affiché ses intentions concernant la liberté de la presse, en particulier, et les libertés, en général », ajoute-t-il. Il considère que « les affaires de Mohamed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul sont symptomatiques de l'état d'esprit du pouvoir qui veut en finir avec les libertés », et ce n'est pas « pour autant qu'il faille se mettre à la mode du silence honteux ». L'Organisation arabe pour la liberté de la presse, dont le siège est à Londres, a accueilli cette décision de justice contre Benchicou avec « surprise ». Par la voix de son vice-président, Ali Djerri, directeur d'El Khabar également, l'organisation dit être « étonnée, choquée et consternée ». Elle estime ainsi qu'un tel procès « n'arrange aucunement le Pouvoir algérien et ne conforte nullement le Président Bouteflika dans sa position et ses déclarations favorables au développement de la démocratie et à l'élargissement du champ des libertés en Algérie ». Cette organisation compte s'adresser par le biais d'une lettre, au président de la République pour lui demander d'intervenir en usant de ses prérogatives afin de libérer Benchicou. La presse étrangère, quant à elle, a longuement répercuté l'information. Le quotidien français l'Humanité, a publié hier un article, signé par Olivier Mayer, intitulé : « L'homme du jour, Mohamed Benchicou », dans lequel il revient sur les dessous de la peine de prison à l'encontre de ce dernier. On peut y lire : « (...) Il est surtout reproché (à Benchicou) le fait que Le Matin ait ouvert ses colonnes aux mouvements citoyens de Kabylie, des Aurès et du Sud, et au combat des femmes pour le droit à la citoyenneté, et qu'il ait accompagné ces mouvements protestataires dans leur combat pour la démocratie et les libertés ». « Les autorités algériennes lui reprocheraient également d'informer régulièrement les Algériens sur les multiples atteintes aux libertés d'expression et de la presse, les tortures subies par des jeunes comme à T'kout (Aurès). S'ajouterait enfin à cela la parution du livre de Mohamed Benchicou en décembre dernier, Bouteflika : une imposture algérienne, que le Pouvoir a tenté d'interdire. » Le Nouvel Observateur a, de son côté, publié dans son édition d'hier un long article sous le titre : « Le directeur du Matin reste en prison ». A travers cet article, le magazine rapporte le déroulement du procès et les réactions ayant suivi le verdict dans un style dénué de tout commentaire. Il en est de même pour El Bayane ( marocain), Jeune Afrique l'Intelligent, L'Express (magazine français), Le Courrier international. Enfin, le collectif du Matin a appelé à un rassemblement à la maison de la presse Tahar Djaout, à Alger, le 16 août prochain.