La presse indépendante, dans sa majorité, s'interroge sur le devenir des relations entre elle et le pouvoir. La condamnation du directeur du quotidien Le Matin, mercredi dernier, à deux années de prison ferme lors de son procès en appel qui s'est déroulé à la cour Abane-Ramdane d'Alger, a soulevé un véritable tollé aussi bien à l'étranger qu'à l'intérieur du pays. L'organisation de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF), s'est déclarée, au lendemain du procès, «indignée par la confirmation, mercredi, en appel de la condamnation du directeur du quotidien algérien Le Matin, Mohamed Benchicou, à deux ans de prison ferme». Dans un communiqué rendu public, l'organisation, présidée par Robert Ménard, constate avec regret que «durant ces dernières semaines, les atteintes à la liberté de la presse ont augmenté de façon vertigineuse en Algérie, et les peines de prison pour les journalistes ont été confirmées en appel, voire aggravées». Tout en s'abstenant de faire un quelconque commentaire, le quotidien français Le Monde a consacré tout un article à la condamnation du directeur du Matin, une condamnation, souligne le rédacteur, «que beaucoup interprètent comme une volonté du pouvoir algérien de museler la presse». En Algérie, les premières réactions sont venues du collectif d'avocats qui assurait la défense de Benchicou. Après l'annonce de la sentence, les avocats se sont dit «surpris» et «déçus» par un tel verdict. Ils estiment, en outre, que «l'affaire revêt un cachet politique». La défense a, par ailleurs, indiqué qu'elle allait se pourvoir en cassation devant la Cour suprême. La quasi-totalité de la presse nationale a, quant à elle, consacré sa une à l'événement. Le Soir d'Algérie titre: «L'injustice confirmée». El Watan, pour sa part, qui consacre également sa première page à l'événement, commente: «Triste fut la journée de mercredi pour la presse, la justice et les libertés». Tout en soulignant que les avocats de Benchicou avaient axé leur plaidoirie sur le fait que leur client «n'avait, à aucun moment, dérogé à la loi», le commentateur s'interroge «si la mise en liberté du journaliste viendra de la Cour suprême ou d'une éventuelle grâce présidentielle?» «Il est difficile de croire que le pouvoir avait besoin d'une lourde condamnation de Mohamed Benchicou pour prouver qu'il a le dernier mot», souligne le journal Liberté. Pour ce quotidien, «tout laisse croire, même si tout au long du procès, il n'a été question avec moult détails que de bons de caisse et d'infraction à la législation des changes, que ce sont les écrits sur le président et le ministre de l'Intérieur qui ont valu à Benchicou cette cabale, cette attaque en force et cette peine de deux ans». D'après Liberté, «il y eut en ce 11 août 2004 deux perdants: la justice et la liberté d'expression». Bref, la presse indépendante, dans sa majorité, tout en s'indignant suite à la confirmation par la cour d'Alger de la peine prononcée le 14 juin par le tribunal d'El-Harrach, s'interroge sur le devenir des relations entre elle et le pouvoir. Suspende tirage depuis le 23 juillet dernier, Le Matin se déclare, dans un communiqué parvenu à notre rédaction, «plus que jamais mobilisé pour la libération de Mohamed Benchicou». Tout comme il a tenu à «prendre à témoin» et à «alerter l'opinion nationale et internationale sur cette dérive totalitaire». Pour ce journal, en condamnant Benchicou à deux ans de prison ferme, «le pouvoir a démontré son acharnement contre le directeur du Matin».