Le camarade soleil tape fort. En pentes escarpées et ouvertes sur la mer, le cimetière Miramar, incrusté sur le bras ouest de la capitale, est plus blanc que le ciel d'Alger. Une agglomération, une route, et le cimetière côté mer. L'ombre rare, en face de l'exigu cimetière, est partagée par les connaissances, proches, amis et compagnons d'El Hachemi Chérif. Karim Younès, FLN et ancien président de l'APN, discute avec Saïd Sadi, président du RCD. Le général retraité Djouadi est bien entouré. Abrika, les yeux derrière des lunettes noires stylisées. Réda Malek, ancien chef de gouvernement, président de l'ANR, affiche une austère bonhomie. Sadek Bougetaya du FLN rattrape des dizaines de discussions. Ali Haroun, membre de l'ex-HCE, se promène du côté des tombes. Seddik Chihab du RND, Salhi Chawki du PST, Mohamed Salah Mentouri, ancien président du CNES, sont là aussi. Mais également les hommes et femmes du cinéma algérien : Amar Laskri, Amina Chouikh, Belkacem Hadjadj, entre autres. Des hommes des médias : Nacer Mehal, patron de l'APS, Zouaoui Benamadi, DG de la Radio nationale, Ali Ouafek, directeur de Liberté, Abdelkader Eulmi, directeur de la presse écrite au ministère de la Communication... Et tous les autres : membres d'associations, militants divers, compagnons d'armes et de clandestinité, des hommes, des femmes... La dépouille arrive transportée dans une ambulance. Les policiers arrêtent la circulation et on entame la prière du mort à même la route. Le cimetière ne peut contenir tout le monde. Le jeune qui conduit la prière entonne quatre fois Allahou Akbar avant que le cercueil ne soit promptement porté sur les bras,vers la tombe coincée entre des escaliers et un mausolée familial. De brefs youyous accompagnent la courte et descendante procession. Le drapeau qui couvrait la dépouille est déployé maintenant au-dessus de la tombe où s'affairent amis et proches pour l'inhumation. Une gerbe de fleurs du ministère de la Culture traverse les têtes et atterrit devant la tombe. « Tu as sacrifié ta vie et ta santé camarade pour l'Indépendance de l'Algérie et pour un avenir moderniste », lance El Meliani, membre de la direction du MDS dans son oraison funèbre. Il rappelle l'itinéraire de l'homme, de la Révolution à la clandestinité, de la culture au combat contre l'intégrisme et l'Etat rentier. L'oraison se termine sur des applaudissements et des youyous. Les présents clament alors « Djazaïr hourra dimoqratiya ! » (Algérie libre et démocratique). « Regardez, c'est Ouyahia qui arrive », dit l'un des présents accroché aux grilles du mur du cimetière. Mais de la Citroën C5 escortée par une autre voiture de gardes du corps sort en fait Abdelmadjid Sidi Saïd, patron de l'UGTA, look cool, casquette, gilet et tenue d'été, accompagné par des membres de sa direction. Un temps de recueillement sur la tombe. Arrivent également les deux seuls officiels : Yahia Guidoum, ministre de la Jeunesse et des Sports, et Ali Tounsi, patron de la DGSN. La famille reprend le drapeau algérien. La foule se retire du cimetière. La route contiguë se noie dans les rencontres et les regards rouges de larmes. Les gens continuent à arriver, dont Hadi Lakhdiri du FLN, ancien ministre de l'Intérieur. « Lorsque la gauche se réunissait dans les années 1970, il y avait une majorité de jeunes. Aujourd'hui, c'est le contraire », soupire un ancien militant du PAGS. Le cimetière retrouve peu à peu sa solitude. La mer est belle en contrebas, en face et sur les côtés. La beauté du site aurait décidé El Hachemi Chérif à choisir Miramar pour dernière demeure. Le bruit de la mer recouvre tout.