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Quand la musique se mêle de l'histoire des peuples
Publié dans El Watan le 09 - 08 - 2005

La musique a toujours pris part dans l'histoire des peuples, elle est ancrée dans la vie sociale, les mœurs et les traditions, et il ne peut exister de peuple sans sa musique propre. Du fond des âges, l'homme a su extérioriser ses peurs, ses aspirations et ses joies par des chants.
L'Algérie n'a pas manqué à cette règle, mais peu d'analyses ont été faites pour établir les relations de cause à effets en chaîne d'interfaces et de métissage culturel. L'anthropologie culturelle pourtant nous décrit bien les interdépendances entre la musique et la vie sociale et de ce passé, il nous reste beaucoup de ses chansons andalouses, chaâbi et berbères, colportées et fredonnées par nos aïeux. Repère phare de notre culture et de notre histoire, elles ont su garder une belle authenticité dans nos terroirs. Durant la colonisation, des chants et des chansons sur la vie sociale des Algériens usurpés de leurs droits élémentaires, on été psalmodiés. Notre culture, malgré la précarité de la vie, était forte tant dans sa musique que dans ses pièces théâtrales : Hadj M'rizek, Hadj Mohamed El Anka, Fadila El Djazaïria, Dahmane El Harrachi, Ahmed Wahbi, Slimane Azem, Boudjemaâ El Ankis ont donné un goût amer et touchant dans leurs chansons des années 1950 et 1960. Ils ont été porteurs de valeurs de nos traditions et, il ne faut pas oublier que la colonisation a bousculé toute la vie sociale de nous, les autochtones. La culture a pris un coup qui se ressentait dans ses chansons à consonance profonde. Elles ont su transcrire en symboles les souffrances, les misères et les spoliations de terres agricoles que la France de l'époque a commis à notre encontre. A son nom défendant, elle l'a traduit en pacification et en évangélisme de nous, indigènes et sous-humains, relégués dans des gourbis. Ces soit-disantes études sur les races ont même été prises en compte pour démontrer que la colonisation a été juste et nécessaire. Tous les prétextes étaient bons pour l'invasion et le maintien d'un joug indispensable sur notre pays. Une barbarie forcée, déguisée par les mots, en civilisation utile pour le genre humain. Les mots qui tuent plus que les balles des fusils et les bombes ,car ils entrent dans les esprits de manière si sournoise qu'on ne peut les bannir. Une fatalité sortie des romans de Faulkner. Notre lutte était souvent inégale et Henri Alleg, après avoir effectué des recherches sur l'histoire de la colonisation, a bien souligné dans son livre La guerre d'Algérie, les exactions et les meurtres horribles commis sur les Algériens. La revue Afrique du Nord, illustrée des années 1890, publiait des récits et les relations de proximité entre nous, les autochtones et les Français : des vexations, des quolibets et des chasses aux bougnoules dignes du safari étaient monnaie courante. Nos chansons se perdaient dans les nuits de solitude et de survie. Notre musique était imprégnée des styles berbère et turc, d'avant la colonisation. Cette similitude de servitude d'une civilisation par une autre est très significative et accentuée en l'esclavagisme du moins en Amérique du Nord, du XVIe au XXe siècles. Les Afro-Américains ont su bien transcrire leur désespoir, dans leur musique : le blues a été chanté pour décrire la malvie de ces déracinés, la haine du Blanc sur le Noir et leurs survivances dans des cases à l'oncle Tom. Cette musique a su traduire l'ampleur de leurs souffrances et de leur misère. Elle a su dépeigner leur culture et des études ethnomusicologies ont même été établies dans des écoles américaines de ce XXIe siècle. Leurs styles de musique de par les interactions ont su imprégner leur vie sociale et réciproquement. Leurs chansons ont été immortalisées par ces chanteurs et chanteuses qui ont su insuffler la liberté des races opprimées : King Oliver, Billie Holiday, Sarah Vaughan à Miles Saris. La chanson Drôles de fruits sur les arbres reste gravée dans la mémoire de ces êtres déportés, et dont les enfants n'ont pas connu la liberté. Des vies pleines de désespoir et des vivants dans un no man's land de civilisation du fait de leur couleur seulement. La haine de la différence était à son apogée en cette époque. Il ne faut pas oublier que la Convention des droits de l'homme n'a été signée qu'en 1948. Dans l'inconscience collective des Noirs américains, l'esclavagisme a laissé une trace indélébile de ses amères années et la musique noire, à nos jours, a conservé intacte toute sa sensibilité et sa chaleur. Ray Charles et Shirly Bassy des années 1960/1970, Gloria Gaynor des années 1980 et bien d'autres encore ont interprété des chansons devenues des classiques : The Sun died, I will survive. En ce jour du 7 février 2005, un trait d'union en musique entre la magie du Gospel de Manda Djinn et notre Gnaoui ancestral a fait vibrer la salle de spectacles à Oran. Une atmosphère poignante a été ressentie durant ce festival et les applaudissements ont été forts. Deux races qui se tendent la main par la magie d'une soirée. Souvenons-nous aussi, au temps de notre indépendance retrouvée, beaucoup de Françaises et Français se sont trouvés désemparés. Ils étaient nés en Algérie et leurs parents étaient aussi natifs de ce grand pays. Ils étaient nos frères et sœurs par l'esprit, car leur cœur et leurs pensées avaient toujours été avec nos aspirations et notre désir de liberté.
La world music
Dans notre liberté retrouvée, ils mêlaient la joie de notre bonheur et la crainte de leurs lendemains. Leur désarroi était dû aux erreurs de leurs proches et à l'incompréhension de nos semblables. C'était un dilemme si douloureux à supporter : nés ici, mais venant d'ailleurs. Etrangers et indignes en même temps, ces Franco-Algériens de 3e ou 4e générations sont devenus des parias ou des « erreurs » de l'histoire. Un retour de situation dans les chroniques où le « conquistador » devient un opprimé à son tour. Il faut dire que beaucoup d'entre eux ont accepté nos traditions et nos coutumes : des chansons arabo-andalouses, ou en sabir, ont été chantées par Lily Boniche. Des penseurs d'outre-mer, ont plaidé notre cause pour la liberté. Jacques Berger, Frantz Fanon, Lanza Del Vasto, Paul Maire de la Gorge. Plus de 40 longues années ont passé et nous n'avons rien oublié, mais l'avenir doit être construit ensemble. En ce XXIe siècle, des remixages sur nos chansons des années 1950 et 1960 ont été faits et la sonorité musicale réadaptée, ces chassons et ces musiques ont été appréciées bien au-delà de nos frontières. L'Algérie a été réentendue parmi les autres nations. Dans la mondialisation, les cultures des peuples ont tendance à s'universaliser et ce rapprochement amène une meilleure compréhension de part et d'autre, des terres et des continents. Nous la ressentons dans les musiques contemporaines où le métissage des eurythnies musicales tend vers la world music. Cette compréhension a élargi notre conscience vers l'universel et nous arrivons à mieux se connaître, quelques pas ont été franchis. En ce jour du 25 novembre 2004, Henri Pouillot, réserviste de l'armée française en 1961, s'est déplacé en Algérie, en pèlerinage, triste, traumatisé à vie et implorant son pardon pour les méfaits et les tortures infligées aux Algériens par la France d'antan, où il a assisté à des sévices corporels dans cette villa de tortures. Une rencontre toute symbolique entre deux rives voisines par l'espace et lointaines par le temps. Un cognitivisme éclairé est bien salutaire pour les deux peuples vivant auprès de la Méditerranée, où ont côtoyé des grandes civilisations dans l'histoire. La fondation France-Maghreb a été créée en 2004 par Pierre Henri Pappalardo, né en Algérie. Cette fondation a pour but de réconcilier et rapprocher les deux rives, louable action pour atténuer les traumatismes enfouis dans les caves de l'histoire. Le 26 février dernier, l'ambassadeur de France, Hubbert Collin, s'est recueilli devant la placette Saâd Bouzid à Sétif, placette commémorative du massacre des Algériens en ces journées de l'après-8 Mai 1945. Il a rendu hommage au grand homme qu'était Ferhat Abbas. Le 1er mai 2005, un organisme indépendant chargé de combattre les pratiques racistes a été créé en France par le président Jacques Chirac. Le président de cet organisme est assisté par un collège de 10 personnalités qualifiées et connues pour leur engagement social. Parmi elles, deux personnes sont d'origine algérienne : Fadela Amara, militante de l'Egalité sociale, et Amar Dib, de l'association Convergences. Sur le sol français, vivent 2 millions d'Algériens ou d'origine algérienne. Une vraie psychohistoire du style de Isaac Asinov, et une porte est entrouverte pour la réconciliation des peuples et l'harmonisation des relations humaines. Des lendemains, qui chantent et s'échafaudent, sont perçus de part et d'autre de la mer Méditerranée !


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