Aubusson (France) est l'unique site au monde dans lequel depuis six siècles existent tous les métiers qui participent à la réalisation d'une tapisserie, allant du producteur de laine au marchand de ces œuvres. On y trouve une trentaine d'ateliers, de galeries et de manufactures en mesure de répondre aux attentes des créateurs, des visiteurs et des acheteurs. Une artisane algérienne qui vient du monde magique de cet art ancestral veut « semer » la tapisserie dans son pays. La matière première de la tapisserie n'est autre que le fil de laine résistant obtenu à partir de la toison des moutons. ll faut environ trois jours et sept opérations au filateur pour transformer un kilogramme de laine brute en un fil double d'une longueur d'un kilomètre. Ce fil deviendra sous les doigts du lissier, d'abord trame et ensuite tapisserie. Le motif de la tapisserie est conçu par un peintre, un sculpteur, un graphiste ou un designer ; on l'appelle le peintre-cartonnier. Le motif est présenté sur une toile ou un papier, mais le carton présente le modèle en version inversée dans le format final de l'œuvre. Pour déterminer la structure de la tapisserie dans ses différents aspects (couleurs, reliefs, esthétique) qui personnalisent par la suite l'œuvre, le peintre-cartonnier et le maître-lissier se concertent et conjuguent leurs approches. Viendra par la suite l'intervention du teinturier qui crée les couleurs désirées, tout en donnant une vie aux échantillons de laine selon leur teinture. Le lissier possède une maîtrise dans cette technique forgée à partir de l'agilité de ses doigts, son sens de l'observation et la maîtrise de la décision. Il suffit de suivre le modèle du carton. L'entrecroisement de la chaîne et de la trame produit la tapisserie. La chaîne est une nappe de fils de coton ou de laine tendue fortement, tandis que la trame se compose de fils de laine ou de soie enroulés autour de flûtes. Chaque flûte est utilisée pour une couleur. Pour se retrouver facilement dans le choix des couleurs, l'artisan prépare un chapelet numéroté. Après le tissage, l'événement apparaît avec la découverte réelle de l'œuvre. L'outillage utilisé se constitue du petit matériel (flûtes, peignes en bois, poinçon, grattoir, glace) et le grand matériel (le métier). La tapisserie d'Aubusson exige une patience, une grande écoute et un regard curieux. Au XVIIe siècle, les manufactures d'Aubusson et de Felletin fabriquent une infinité de tentures qui relatent des épisodes bibliques, des faits d'armes de héros mythologiques. Au XVIIIe siècle, les principaux thèmes des motifs s'articulaient autour des pastorales, des paysages avec des animaux, des scènes galantes, de la flore... La révolution française donne un coup d'arrêt à l'abondante création d'Aubusson, néanmoins l'activité se poursuit tout au long du XIXe siècle. Au XXe siècle, l'inspiration créatrice fait défaut, pourtant 2000 personnes travaillent dans les différents ateliers d'Aubusson. C'est finalement Jean Lurçat lors de son passage à Aubusson qui offre son imagination. Dès 1939, le renouveau se produit et entraîne dans son sillage une pléiade d'artistes de grande renommée, pour ne citer que Picart Le Doux, Tourlière, Picasso, Le Corbusier, Vasarely et Calder. Actuellement, Aubusson et Felletin demeurent l'unique centre de production privé de tapisserie aussi important en Europe. L'avenir de cet art ne sera assuré qu'à travers un savoir-faire perpétuel des lissiers et leur capacité à s'adapter aux attentes des artistes créateurs de motifs, pour rendre la tapisserie un mode d'expression actuel. Or, les plus anciennes mentions de tapissiers remontent au XVe siècle. Ce qui semble regrettable, selon les écrits dans un document remis aux touristes d'Aubusson, c'est l'absence d'archives qui laissera toujours dans l'ombre la véritable raison de l'implantation de la tapisserie dans le bassin d'Aubusson-Felletin. La consultation d'un document historique dans une bibliothèque à Aubusson révèle que l'art de la tapisserie a bel et bien été transmis par la civilisation musulmane, mais après avoir effectué un long détour passant par Chypre, Venise, Augsbourg et les villes flamandes, pour parvenir par le hasard de quelques mariages jusqu'à Aubusson. Avant le XVe siècle, des teinturiers arabes se trouvaient à Aubusson. A ce jour, des visiteurs ont pu découvrir le croissant sur des anciennes tapisseries exposées à Aubusson illustrant en fait la trace de la civilisation musulmane, qu'on veut aujourd'hui volontairement occulter. Une recherche dans le passé aura le mérite de faire la lumière sur le génie de la civilisation musulmane avant le XVIe siècle, sur l'origine de la tapisserie, même aux temps des pharaons.