Elles sont plus de 1300 familles à avoir été touchées dans leur chair par la barbarie intégriste dans la seule wilaya de Boumerdès. Selon les cas, elles ont perdu un membre, deux, trois, voire plus, dans des situations aussi dramatiques les unes que les autres. Certains ont été tués par balle pour des « crimes » qu'ils n'ont jamais commis, d'autres sont morts dans des explosions de bombes artisanales et d'autres encore ont été égorgés devant les yeux ébahis d'une mère, d'une épouse, d'une sœur impuissante. Les témoignages des membres de certaines de ces familles, que nous avons rencontrées afin d'écouter leur avis concernant le projet de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, laquelle sera soumise à référendum dans un peu plus d'un mois, nous ont rappelé l'horreur qu'elles ont eu à vivre. Cependant, certaines d'entre elles, celles qui résident encore dans des zones particulièrement exposées à la menace terroriste, accueillent positivement le projet du président de la République avec toutefois des appréhensions relatives à l'aboutissement de cette initiative. Par peur, par résignation mais jamais par conviction, quelques familles se disent en effet prêtes à essayer d'oublier : « J'ai perdu mon fils en 1996 à l'âge de 21 ans alors qu'il était au service national. Aujourd'hui, j'ai peur pour mes autres enfants. Autant faire des efforts pour que cette violence s'arrête », nous dit Saïd, de la région de Hammadia. Un autre dira : « Je suis prêt à vivre de pain et d'oignon, mais il nous faut la paix. » Mais la majorité des familles victimes du terrorisme ne l'entendent pas de cette oreille. Nous avons rencontré des adhérents de l'Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVT) au siège même du bureau de wilaya de cette association, ces derniers se disent foncièrement opposés à cette proposition de paix. Djamila trouve que cette offre de paix est la « 3e tragédie pour le peuple algérien et pour les victimes du terrorisme » après 15 ans de violence islamiste, la loi sur la rahma et la grâce amnistiante. « Le Président a longuement parlé des terroristes, des disparus, mais il a glissé sur le cas des victimes de cette tragédie », a-t-elle ajouté. Ce qui l'inquiète le plus, c'est le fait que « ces mesures de grâce ne soient pas limitées dans le temps », dira-t-elle, ajoutant qu'« ils (les islamistes) peuvent prendre le maquis et revenir quand bon leur semble pour bénéficier de l'amnistie ». Quant au pardon, Djamila trouve que seuls les Algériens touchés sont en mesure de se prononcer. « Il n'y a pas longtemps, j'ai été moi-même menacée par un terroriste repenti. Ce sont des gens qui ne reculent devant rien et qui n'apprécient aucune valeur », a-t-elle dit, et de se rappeler son malheur : « Ils ont tué mon frère et on n'a retrouvé que sa tête. Quelques mois plus tard, ils sont revenus tuer un autre, qui était pourtant un malade mental, et ils ont rendu malade mon troisième frère. Suite à tout cela, j'ai dû quitter ma région pour me réfugier chez des amis, et ce, depuis 1996 ». D'autres nous ont parlé de citoyens qui, vengeant des membres de leur famille, « se sont attaqués à des personnes qu'ils soupçonnaient » et croupissent aujourd'hui dans des prisons d'Etat. « Certains faisaient même partie des corps de sécurité. Seront-ils amnistiés ? », s'interrogent-ils. Mohamed de Bordj Menaiel déclare que « les terroristes doivent tous être traduits devant la justice. Ils doivent répondre de leurs crimes. Pour moi, quiconque a pris le maquis a forcément participé à toutes sortes d'attentats, y compris les massacres collectifs et ceux à l'explosif. L'organisation terroriste est une et indivisible, avec des ramifications partout ». Je n'accepte pas la reddition de la République devant des terroristes, a-t-il dit. Dans la région de Cap Djinet - Benchoud - Dellys, une source au fait de la situation sécuritaire nous a confié que « les gens ont peur. S'ils votent, c'est sous la menace, directe ou indirecte, et dans ce cas, il n'est pas possible de parler de disponibilité des Algériens à passer l'éponge sur les erreurs de ceux qui ont endeuillé des familles entières ». L'espoir d'un retour à la paix est encore minimisé par les derniers attentats qu'a enregistrés la wilaya, l'assassinat d'un policier à la voiture piégée, l'enlèvement d'un patriote à Chabet, l'accrochage à Si Mustapha... Cela à un moment où les partisans de cette option de « sortie de crise » commencent à s'agiter par mener campagne en faveur du projet du Président.