Ainsi, l'Organisation nationale des victimes du terrorisme et ayants droit (Onvitad), par la voix de son porte-parole, Soltane Brahim, a annoncé hier « le boycott » du scrutin tout en maintenant les actions en justice engagées contre les terroristes. M. Brahim avait créé la surprise en septembre 2002 après avoir été plébiscité par l'assemblée générale de son organisation à Oran, à la suite d'un retrait de confiance à Mme Rabha Tounsi. Au nom de l'Onvitad, M. Brahim a tenu à dénoncer « la politique d'exclusion et de marginalisation » dont ses membres sont victimes « en dépit des nombreux appels adressés au président de la République pour lever l'embargo qui nous étouffe ». Il a expliqué que cette situation et de peur de subir la répression policière et administrative, l'Onvitad a tenu une réunion clandestine à Blida. Elle est sortie avec une déclaration faisant état de sa position par rapport à la charte pour la paix. « (...) Des personnes étrangères à notre famille, des militants du FLN, du RND et même des terroristes ont été appelés à s'exprimer sur la réconciliation au nom des victimes, comme le souhaitaient Ahmed Benaïcha et Madani Mezrag qui ont été admis en tant qu'éléments de vengeance contre les victimes (...). Après nous avoir fermé toutes les portes du dialogue au visage et menacé de nous balayer après le référendum (...), nous avons décidé de boycotter le scrutin et de continuer à poursuivre tous ceux qui ont commis des crimes, des dépassements ou des violations des droits des victimes et de leurs ayants droit... » M. Brahim a affirmé qu'il détient 32 000 procurations des familles de victimes du terrorisme à travers de nombreuses wilayas. « Ces familles ne veulent pas que ceux qui les ont privées des leurs soient graciés ou amnistiés. Ils veulent leur droit à une justice et seulement le droit à une justice... » Un avis partagé par l'association Djzaïrouna de Blida qui a estimé que les familles de cette région endeuillée par le terrorisme « sont unanimes à rejeter » le pardon décrété par le Président. « Notre rejet a été clairement exprimé. Nous irons le jour du vote dans les cimetières pour pleurer nos morts. Nous continuerons à aller devant les tribunaux pour que les auteurs des crimes soient jugés. Cette charte constitue un grave précédent. Elle dénie aux familles de victimes du terrorisme le droit à une justice, consacré et garanti par la Constitution... » Mme Cherifa Kheddar a dénoncé, elle aussi, « les pressions, intimidations et menaces et l'embargo » dont sont victimes les associations qui se sont démarquées de la charte. « Il y a une espèce de chape de plomb qui pèse sur toutes les personnes qui osent s'exprimer contre l'amnistie. Certains sont terrorisés et préfèrent se murer dans le silence et d'autres, de peur de perdre leur gagne-pain, optent pour un avis dont ils ne sont pas du tout convaincus... », a t-elle déclaré. Pour sa part, Ali Merabet, président de l'Association des familles de victimes enlevées par les terroristes, a tenu à préciser que son organisation est pour la réconciliation pour peu qu'elle ne soit pas imposée à tous. Selon lui, le terrorisme a créé « un large fossé entre les Algériens et les criminels. Une vraie réconciliation doit passer par trois étapes. D'abord que les terroristes avouent leurs crimes, expriment leurs regrets pour ce qu'ils ont fait et ensuite faire jouer la justice pour aboutir au pardon. Pour l'instant, cette réconciliation est à sens unique. Elle ne fait qu'aggraver la situation et consacrer l'impunité. Nous ne pouvons donc la cautionner. Nous militons pour que le vérité soit connue et la justice rendue. Le jour du 29, nous dirons non à la charte... » Par ailleurs, même si pour l'instant la porte-parole de l'Organisation des victimes du terrorisme (ONVT), Mme Flici, députée du RND, parti membre de la coalition présidentielle, a déclaré son soutien indéfectible à la charte, dans les coulisses, plusieurs membres de cette association se sont positionnés contre. Cette tendance reste néanmoins réprimée et totalement exclue des manifestations publiques. Terrorisée à l'idée de subir les foudres de l'administration, elle préfère faire état de sa position sous couvert de l'anonymat. « La majorité des familles refusent l'impunité aux terroristes. Quel est ce père, cette veuve ou cette orpheline qui accepte que celui qui lui a ôté l'être le plus cher soit gracié ? La pression et les menaces que subissent les familles réfractaires sont telles que beaucoup ont fini par se résigner à leur douleur », a déclaré une femme, mère d'un policier assassiné en 1993 à Blida et membre du conseil national de l'ONVT. Notre interlocutrice a expliqué qu'au sein de l'organisation, il n'y jamais eu de consensus autour du projet de charte. « Lorsque la présidente nous a convoquées pour l'assemblée générale, l'ordre du jour était de faire le bilan de l'association et de discuter de la liste des bénéficiaires des logements sociaux. Lorsque le sujet de la charte a été abordé, cela a été une surprise. Les familles n'étaient pas d'accord. Seule la direction du bureau a insisté et maintenu le cap sur le vote massif pour la charte. Des menaces ont été proférées à l'encontre des militantes qui se sont exprimées contre cette décision. Certains ont eu peur de perdre leur gagne-pain et de subir la répression de l'administration. Ils ont préféré suivre la démarche du bureau. De nombreux militants sont en train de faire campagne contre la charte, mais dans la discrétion la plus totale... », a déclaré notre interlocutrice. Son avis rejoint celui de plusieurs autres qui se sont déplacés à la rédaction pour faire part de leur opinion. Ces familles, endeuillées une première fois par les actes barbares des groupes armés, se sentent trahies et endeuillées une seconde fois. Selon elles, « personne n'a le droit de pardonner, à part ceux qui ont été touchés dans leur chair et leur âme ».