Vieux sujet de controverse, le problème du manque de logement social à Paris occupe le devant de la scène politique depuis les incendies meurtriers des 26 et 30 août dernier. Le débat sur le retard de production de logements en France est relancé sur fond de polémique. Selon la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des personnes défavorisées, en France, plus de trois millions de personnes vivent en situation de « mal-logement » dans des habitations insalubres ou en voie de l'être. 1 150 000 personnes vivent dans des logements dépourvus de « confort de base » : absence de salle d'eau, de WC ou de chauffage. 250 000 logements sont situés dans des copropriétés dégradées nécessitant une intervention publique. A Paris, 976 immeubles sont classés insalubres, selon un inventaire établi en juillet par l'Observatoire du saturnisme, de l'insalubrité et de l'habitat dégradé, un organe mis en place par l'équipe Delanoë pour recenser les bâtiments vétustes et présentant un danger pour leurs habitants ; 80% de ces immeubles sont situés dans les cinq arrondissements populaires du nord-est parisien : Xe, XIe, XVIIIe, XIXe et XXe. 1,3 million de ménages attendent l'attribution d'un HLM en France, 330 000 dans la seule région Ile-de-France et 102 000 à Paris. Le maire de Paris, dans une tribune dans le Monde, affirme que « depuis 2001, la collectivité parisienne a déjà financé 15 000 logements sociaux, avançant aujourd'hui au rythme de 4000 chaque année ». Ce qui, selon lui, représente un « quasi triplement par rapport à l'action de l'ancienne municipalité ». Demande de réquisition des logements vides Estimant encore que « l'actuel plan de cohésion sociale » du gouvernement « ne dit pas la vérité », le maire de Paris avance dans le Monde une ébauche de programme pour l'avenir en matière de logement. Il faudrait, écrit-il, « généraliser, donc inscrire dans la loi » le principe selon lequel chaque nouveau programme d'habitat de plus de 1000 m2 intègre une proportion obligatoire de logements sociaux. Dans ce texte, le maire parle aussi de « réquisition » d'immeubles vacants. Plusieurs partis - PCF, Verts, LCR - ont demandé l'application de la loi de 1948 sur la réquisition des logements vides, qui, selon les Verts, sont 40 000 à Paris. Une cinquantaine d'associations d'aide aux plus démunis, de travailleurs sociaux et de défense des mal-logés ont lancé un appel pour un « droit au logement opposable », c'est-à-dire garanti et défendable par la loi. L'association Droits Devant ! réclame la « réquisition des immeubles vides appartenant aux gros propriétaires », soit « 11% du parc immobilier parisien », ainsi que la « construction de logements sociaux à Paris adaptés aux ressources des modestes et précaires » et la « mise en place immédiate d'une table ronde réunissant l'Etat, la ville de Paris, les pouvoirs publics et les associations ». La France doit « se préoccuper sérieusement » des conditions de logement, estime Edouard Balladur. « On ne peut pas accepter que ceux qui vivent sur le territoire de la France, quelle que soit, je dirais à la limite, la façon dont ils sont arrivés, vivent dans des conditions pareilles », a déclaré Edouard Balladur sur RTL. « Il faut comprendre qu'il y a une crise sociale du logement partout, mais il y a un problème Paris Ile-de-France particulier », a justifié le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo. Celui-ci a affirmé que face au manque de logements sociaux en France, « la machine se remet en route », rappelant que les sociétés HLM se sont engagées dans un programme de doublement de la construction de logements. Les priorités du gouvernement Le plan de cohésion sociale « lancé en janvier dernier va apporter 1,2 milliard d'euros de plus pour le logement social », assure M. Borloo en soulignant toutefois que « le travail est considérable et les délais sont très longs. C'est un paquebot qu'il faut relancer ». Le ministre a assuré que le gouvernement avait « fait de la reprise de la construction de logements une priorité majeure ». L'Etat va dégager des terrains libres pour permettre la construction de 28 000 nouveaux logements et 5000 places en résidences sociales, a annoncé jeudi dernier Dominique de Villepin. « La première urgence, c'est de dégager des terrains pour la construction de nouveaux logements », a déclaré le Premier ministre lors de sa conférence de presse de rentrée, ajoutant que « l'Etat procédera à la réquisition de terrains » pour que la Sonacotra réalise « 5000 logements d'urgence et d'insertion d'ici la fin du premier trimestre 2006 ». Enfin, Dominique de Villepin a annoncé l'achat de bâtiments collectifs inutilisés pour « les transformer en résidences sociales », de façon à créer 5000 places en deux ans. Retour des cités de transit L'association Droit au logement (DAL) se dit « atterrée » par les annonces du Premier ministre. « La réponse du Premier ministre à la situation d'urgence actuelle, c'est 2000 logements pour les classes intermédiaires et les étudiants dans Paris, et 5000 logements d'insertion en rase campagne pour les pauvres. C'est le retour aux cités de transit », a déclaré jeudi à l'Associated Press le président de Droit au logement, Jean-Baptiste Eyraud. « C'est une insulte à tous ceux qui sont morts dans les incendies, et à ceux qui vivent actuellement dans la précarité et les taudis », a-t-il ajouté. La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) et la Fondation Abbé-Pierre estiment d'une façon générale que les mesures ne sont pas à la hauteur des besoins. La présidente de la FNARS Nicole Maestracci émet également des doutes quant au Pacte national pour le logement social annoncé et qui devra être mis en place sous l'égide du ministre de la Cohésion sociale Jean-Louis Borloo. « Comment est-ce que ça s'articule avec le plan de cohésion sociale, dont les chiffres ne sont pas repris par le Premier ministre ? Les engagements passés seront-ils tenus ? », s'interroge-t-elle. A noter que plusieurs milliers de personnes ont défilé samedi après-midi à Paris pour marquer leur solidarité avec les victimes d'incendie d'immeubles vétustes et exiger une véritable politique du logement en faveur des plus démunis. Une soixantaine d'associations d'aide aux plus démunis, de syndicats, de partis politiques de gauche avaient appelé à se joindre à ce défilé.