Lancé en 1995 à la faveur d'un simple article de la loi de finances complémentaire avant d'être renforcé, quelques années plus tard, par un arsenal législatif et réglementaire censé simplifier l'exécution, les résultats obtenus au bout de dix années de tentatives sont plutôt décevants. A peine 120 unités économiques, pour la plupart de simples unités de production (briqueteries, usines de boissons, etc.), auraient changé de propriétaires, encore que ce chiffre soit contesté par toutes les associations patronales qui réclament un bilan officiel des entreprises privatisées faisant connaître le nom des acquéreurs. Mais même si l'on venait à prendre pour argent comptant ce résultat communiqué par le chef du gouvernement aux députés, le palmarès paraît à l'évidence bien maigre puisqu'il revient à, à peine, 12 privatisations par an en moyenne. A ce rythme, il faudrait pas moins de 90 ans pour venir à bout du processus de privatisation intéressant quelque 1200 entreprises publiques économiques. Exception faite du complexe sidérurgique d'El Hadjar cédé à la firme indienne Metal Steel, des usines de détergents de l'ENAD achetées par la multinationale Henkel et plus récemment, l'usine de fertilisants d'Asmidal en partie acquise par une firme espagnole, dont la privatisation a un impact considérable sur l'économie et la société en général, les autres transferts de propriété, intéressant des unités qui n'ont de chance de vendre que localement, n'ont pas de répercussions significatives sur la production, encore moins sur l'emploi qui resteront à peu près au même niveau qu'avant leur privatisation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a peu de chance que les choses évoluent plus positivement dans les prochaines années à moins que les autorités politiques algériennes consentent enfin à mettre tout leur poids dans le processus et règlent une bonne fois pour toutes un certain nombre de préalables pour la plupart connus de tous. Le premier et sans doute le plus important de ces préalables consiste à impliquer davantage les chefs d'entreprise et leurs organes d'administration et de contrôle (C A, A G et Commissaires aux comptes) dans le choix du type de privatisation et le partenaire qui conviennent le mieux à l'entreprise. Etant sur le terrain, les gestionnaires sont à l'évidence mieux placés que les administrations centrales dont ils sont malheureusement contraints d'attendre les ordres, pour effecteur les choix managériaux, dont la privatisation peut faire partie, qui s'imposent à leurs entreprises. La législation en vigueur les y autorise puisqu'ils sont à la tête d'entreprises publiques autonomes dont les capitaux sont régis par le droit commercial privé. Les PDG d'EPE que nous avons interrogés sur la question nous ont affirmé tous sans exception, savoir quel type de partenariat serait le plus profitable à leur société et filiales et avoir engagé des pourparlers fructueux avec les partenaires ou acquéreurs qui leur conviennent le mieux. Leurs démarches ont chaque fois buté sur le refus ou l'indifférence des tutelles concernées (SGP, CPE, MPPI, etc.). Quand elles consentent enfin à approuver les propositions des gestionnaires, les offres sont généralement dépassées. Si l'on veut que les choses avancent dans le domaine des privatisations, il est, affirme le PDG d'une grande entreprise de bâtiment, indispensable d'en faire l'affaire des premiers concernés, à savoir les chefs d'entreprise et les organes de contrôle habilités (CA, AG). Mieux que cela, ils devraient être stimulés par des primes et autres encouragements, récompensant ceux qui auront réussi les privatisations les plus avantageuses pour l'entreprise et pour le pays. Ce ne sont pas les administrations centrales qui réussiront les privatisations, elles sont trop loin des réalités. Leur rôle devrait se limiter à assumer au mieux leurs missions de régulation et de contrôle. La privatisation étant un acte de gestion, il devrait la laisser aux seuls soins des gestionnaires. Le second préalable consiste à ne pas émettre de liste d'entreprises privatisables, car cela démotive les travailleurs et les gestionnaires des entreprises concernées. Une liste de 1200 EPE offertes à la privatisation comme celle qu'avait publiée le MPPI sur son site Internet a eu pour résultat de troubler le choix des acquéreurs potentiels et de casser les prix. La publicité de la privatisation et les formes qu'elle doit prendre (ouverture de capital, cession totale, etc.) doivent être laissées à l'initiative des seuls organes de gestion (PDG et CA) des entreprises concernées. La troisième exigence souvent formulée par les candidats à l'achat est l'obligation qui leur est faite de garder l'objet social de l'entreprise mise en vente. Une véritable aberration dans une économie de marché qui requiert de l'adaptation aux seules exigences du marché. On ne voit pas pourquoi un producteur de chaussures ne s'orienterait pas vers une activité plus lucrative s'il constate que les produits de l'usine qu'il vient d'acquérir ne se vendent pas. L'activité des entreprises cédées doit donc être laissée à l'initiative des acquéreurs. Pour ce qui est, enfin, de l'évaluation des entreprises à privatiser, il faut absolument éviter de faire ce que le MPPI avait entrepris, à savoir l'évaluation simultanée des 1200 EPE privatisables alors que la privatisation de l'écrasante majorité d'entre elles n'a de chance d'avoir lieu que d'ici plusieurs années. La valeur patrimoniale des entreprises évoluant au gré des investissements et des résultats d'exploitation réalisés, les évaluations effectuées ont toutes les chances d'être dépassées au bout de quelques années. Les opérations d'évaluation réalisées constituent pour l'écrasante majorité des entreprises qui en ont fait l'objet de pures pertes. Un autre chef d'entreprise publique interrogé sur le problème recommande de laisser cette initiative aux gestionnaires concernés qui savent mieux que quiconque à quel moment les engager.