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Littérature
Leïla Sebbar ou la quête du « je »
Publié dans El Watan le 07 - 09 - 2005

J'ai honte de ce que la France a fait en Algérie, C'est en Algérie que j'ai été heureuse, Je vis dans les lieux de passage, Je suis musulman, je suis heureux, Histoire de Moussa, Maintenant, je parle avec ma mère : quelques-uns des titres de propos recueillis par Leïla Sebbar et portant le titre généraliste de Itinéraires.
Femme prolifique, le recueil des titres de nouvelles, entretiens, romans, essais, albums photographiques donne le vertige à celle qui avait déclaré au début de l'année 1982 « J'accepte que ma place soit dans l'exil » revient en cette fin de saison estivale dans ce pays qui l'a vu naître et entend accomplir une sorte de pèlerinage. Elle sera à Blida ce jeudi 8 septembre et compte visiter quelques lieux qui lui permettront de mieux s'imprégner de la localité d'Elissa Rhaïs, des lieux de passage de l'autre romancière Assia Djebar, lycéenne à l'époque au lycée El Feth. Elle veut rendre visite à l'établissement où son père avait enseigné, ce père qui revient, mythe fondateur et réalité, milieu d'un cercle concentrique où les rapports à la langue et à la femme sont omniprésents : Le silence de la langue de mon père, Les mères du peuple de mon père, dans la langue de ma mère. Le corps de mon père dans la langue de ma mère, La langue de l'exil, Femme, entre terre et langue, Parle mon fils, parle à ta mère, et tant d'autres. C'est elle qui choisira le titre Le retour de l'absente pour son récit autobiographique paru dans Europe, revue littéraire mensuelle dans son numéro consacré à l'Algérie en 2003 où elle écrit : « Rien n'est dit, mais le ‘‘je'' est proscrit des deux côtés, maternel et paternel. J'entends L'Universel républicain et L'Honneur de la tribu, Malgré le silence, les silences... Orpheline du je maternel et du je paternel » et poursuivant juste après : « Comment, d'une double absence, produire la présence d'un je privé de l'un et de l'autre ? » Etre en exil de soi, devenir orpheline est la sensation vécue par la romancière qui n'a su que plus tard que son père, alors directeur d'une école, était sur la liste noire de l'OAS, que son père avait été incarcéré à Blida, alors qu'il était instituteur, pour avoir fait passer des médicaments aux moudjahidine et dont certains avaient été ses élèves. Elle revient aujourd'hui, mieux armée pour connaître encore mieux la « tribu » et abolir ainsi la distance qui sépare les deux rives. Mes Algéries en France, Carnet de voyages aux éditions Bleu autour, 2004, est un récit autobiographique, lieu de mémoire où des villes et des personnes de tout âge sont narrées, observées, décrites. Les cafés algériens du Sud de la France restituent une mémoire, font renouer - comme tous les autres lieux - l'auteur avec son passé et son présent ; les personnes comme Jean Pélégri, Kateb Yacine, Josette Audin, Germaine Tillon et tant d'autres participent à cette restitution d'une histoire franco-algérienne commune à des milliers de personnes. Leïla Sebbar tente d'approcher ce père, aujourd'hui mort, par ces dizaines et ces centaines d'entretiens avec des femmes et des hommes qui parlent en arabe, la langue du père, « l'étranger bien-aimé ». Quelque part, elle en veut inconsciemment à ce père et déclare : « Il ne m'a pas appris la langue de son peuple. Il ne m'a pas parlé la langue de sa terre, de sa mère. Il s'est tenu loin dans le silence. » Dur constat qu'elle continue à l'intérieur du roman : « Dans sa langue, il aurait dit ce qu'il ne dit pas dans la langue étrangère... Il aurait ri avec ses enfants dans sa langue et ils auraient appris les mots de gorge, les sons impossibles, répétés, articulés encore et encore, maître d'école dans sa maison, ensemble ils auraient déchiffré, récité, inscrit sur l'ardoise noire les lettres qu'ils ne savent pas tracer. » Ecrire alors et dans la langue de la mère pour mieux comprendre le père. Eviter ainsi la désintégration d'un pan de son histoire personnelle. C'est elle qui souffre d'une « rupture généalogique », qui est « étrangère sans la gloire d'être l'étrangère », comme elle l'écrit dans Mes Algéries en France. Elle se considère comme « un produit contaminé » et ira à la quête de l'antidote dans les tombes musulmanes des cimetières chrétiens, dans les machines Singer de son enfance en Algérie, dans les boîtes de tabac à chiquer qu'elle ramasse sur les trottoirs parisiens, dans les cafés des chibanis qu'ignorent les jeunes émigrés et qui « disent » tout le désarroi de ces vieux demeurés dans le pays où ils ont donné leur jeunesse. Que fut dur l'exil du père ! Et celui de la mère ? Et les enfants ? Déchirements que racontera et expliquera l'auteur ce jeudi à la librairie Mauguin de Blida autour de Christiane Chaulet Achour, Paul Faizant et Bouba Tabti. Travail de mémoire placé dans une dynamique passé/présent pour une rentrée littéraire qui fera date.

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