L'adoption presque certaine de la charte pour la paix et la réconciliation nationale devra nécessairement entraîner la levée de l'état d'urgence, une mesure d'exception en vigueur depuis le 9 février 1992. Rien ne pourra justifier son maintien après cette consultation référendaire, en ce sens où les dispositions de la charte visent justement le rétablissement de la paix civile. Certaines personnalités politiques, à l'image de Me Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), ont même proposé son abrogation comme préalable pour parvenir à la réconciliation nationale. « Le projet a été élaboré en l'absence d'un dialogue politique (...) La réussite de toute démarche est conditionnée par l'ouverture du champ politique et médiatique », a expliqué récemment le président de la LADDH. De son côté, le leader du Font des forces socialistes (FFS), Hocine Aït Ahmed, dans un message adressé le 8 septembre dernier aux membres du conseil national de son parti, a mis en relief les méfaits de l'état d'urgence et ses corollaires, notamment le verrouillage du champ politique et la restriction des libertés individuelles et collectives. Depuis son instauration par le Haut Comité d'Etat, l'état d'urgence a été entouré de tabous, entretenus à tous les niveaux de responsabilité et a donné naissance à un débat des plus controversés. A l'origine, cette « mesure temporaire » était destinée à « éviter au pays de basculer dans le chaos ». En vertu de ses dispositions, les activités politiques sont assujetties à des autorisations préalables délivrées par le ministère de l'Intérieur. Pis, le décret en question donne des pouvoirs discrétionnaires aux walis pour interdire, voire réprimer toute manifestation, marche ou rassemblement. Les forces de sécurité trouvent aussi dans l'état d'urgence une couverture légale pour intervenir dans des opérations du maintien de l'ordre public. Pour justifier l'état d'urgence, les autorités, civiles et militaires, ont de tout temps évoqué des « impératifs d'ordre sécuritaire ». Ce fut au moment où l'insurrection islamiste allait crescendo et les premiers noyaux de ce qui seront plus tard les groupes armés terroristes commençaient à se constituer que l'ancien président du HCE, feu Mohamed Boudiaf, décida, sur la base de trois articles de la Constitution, d'instaurer l'état d'urgence pour une durée qui ne devait pas dépasser une année. Depuis que cette mesure a été décrétée, les libertés ont subi de terribles coups de boutoir. A l'exception des manifestations initiées par les autorités, tout autre mouvement était réprimé sans vergogne. Les perquisitions faisaient rage, les interpellations se sont intensifiées et la presse indépendante était vouée aux gémonies. Les pour et les contre Le débat sur l'opportunité de lever ou non cette mesure a connu, par ailleurs, une autre tournure à la fin des années 1990. Une guerre s'est fait jour entre les partis d'opposition et les ONG internationales d'un côté, et les autorités officielles d'un autre côté. « Son maintien obéit à des considérations beaucoup plus d'ordre politique que sécuritaire », avaient estimé les partisans de sa suppression. Même les chefs militaires ont reconnu que l'état d'urgence est obsolète, notamment, depuis la levée du couvre-feu en 1996. Aucun impératif ne justifie une telle mesure. En ce sens, le général à la retraite, Mohamed Lamari avait déclaré, en juillet 2002, que « la situation est telle que nous n'avons plus besoin de l'état d'urgence. Le terrorisme vit ses derniers jours ». Un autre général à la retraite et néanmoins ancien directeur de cabinet à la Présidence de la République, Larbi Belkhir en l'occurrence, avait déclaré, dans un entretien avec le quotidien français Le Monde, qu'il n'était pas contre la levée de l'état d'urgence. Interpellé à maintes reprises par l'opposition et les Organisations non gouvernementales, le président Abdelaziz Bouteflika n'arrive toujours pas à prendre une décision pour lever une mesure qui n'a plus aucune raison d'être. Son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, s'est également opposé à sa levée. En janvier 2004, il avait souligné dans les colonnes de l'hebdomadaire Jeune Afrique/ L'intelligent que l'état d'urgence n'empêche aucunement la vie politique de suivre son cours. Non. « Il est aisé de revendiquer sa levée quand on est à Alger, dans le confort de la capitale (...) L'état d'urgence est une nécessité imposée par la lutte antiterroriste. Cela n'a jamais été une camisole », a-t-il dit. Aujourd'hui, il faut le souligner, le socle sur lequel repose ce que l'opposition appelle d'ukase,s'est complètement effrité. Le président Bouteflika accepte-t-il enfin de lever la mesure d'exception la plus controversée de l'histoire de l'Algérie indépendante ?