Les médias occidentaux, télévisions en tête, nous ont gratifié cet été d'un feuilleton politique digne des grandes campagnes coloniales qui ont émaillé le XIXe siècle. L'évacuation d'une poignée de colonies israéliennes sur les centaines d'implantations illégales, qui ont été installées depuis la grande défaite arabe de 1966, a donné lieu a un pitoyable épisode de l'allégeance atavique que les médias européens de droite et de gauche manifestent depuis des décennies à l'égard de la politique de conquête et d'expropriation menée par Israël. Jamais l'info-spectacle n'a atteint ce paroxysme. Dans la foulée de la télé-réalité, les grandes chaînes se sont emparées de ces expulsions pour faire pleurer dans les chaumières. Les téléspectateurs n'étaient pas invités à comprendre ce qui s'était passé depuis 40 ans, mais de compatir avec des occupants indus. Les aspects de légitimité n'étaient que très rarement évoqués pour expliquer les conditions dans lesquelles ces fondamentalistes ont été encouragés par la force occupante à spolier les terres des Palestiniens. En ce sens, il faut bien reconnaître qu'ils ont été les victimes de politiciens qui ont exploité leurs sentiments religieux à des fins de conquêtes indues. Seuls quelques journalistes (notamment d'ARTE pour la télévision et de certains journaux de la presse écrite) se sont permis de débattre de légalité et de légitimité. En l'occurrence, la presse de gauche israélienne a, une nouvelle fois, adopté une position plus tranchée sur la question des colonies, réclamant même parfois une évacuation totale des colonies implantées par la force. Cet été a vu également le vote en France d'une loi anachronique destinée à promouvoir dans l'enseignement le prétendu « rôle civilisateur » de la colonisation. Cette loi adoptée en catimini dans un Parlement français quasi-vide, il faut bien le dire, est une agression contre les peuples qui, comme les Algériens, ont payé un lourd tribut à cette vision conception aveugle de la « civilisation » occidentale contemporaine. Ceci étant, peu de voix se sont élevées en France pour dénoncer cette forfaiture. Mais également, peu de nos compatriotes ont cru bon de réagir fermement, lorsque M. Douste-Blazy, alors maire de Toulouse, avait cru bon au beau milieu de l'année de l'Algérie en France de souligner avec force « l'apport de la colonisation à la civilisation ». Même mutisme lorsque M. Chirac avait inauguré (la même année) une stèle à la mémoire des harkis et des armées d'occupation. Ces silences récurrents de part et d'autres de la Méditerranée ont largement contribué à faire renaître une culture coloniale qui pourtant avait pris un sacré coup de vieux. Curieusement, il semble que certains Français aient parfaitement utilisé cette année culturelle pour tenter de « refonder » les relations avec leur ancienne colonie sur la base d'un héritage colonial expurgé de ses aspects les plus odieux. Avons-nous eu raison au lendemain de l'indépendance d'accepter l'amnistie qui a permis à des assassins comme le Pen de vomir sa haine contre nos enfants émigrés ? Avons-nous eu raison de laisser se démanteler les lieux du souvenir plutôt que de créer des mémoriaux pour montrer à nos jeunes générations l'ampleur du crime perpétré contre le peuple algérien. Si les lieux de torture avaient été préservés et les camps de la mort laissés en l'état, on aurait pu les faire visiter pour que nul n'oublie ou ne nie. Au moins, la torture aurait pu être montrée du doigt et bannie...Un demi-siècle après, un véritable négativisme réapparaît en France avec des chiffres truqués et des manipulations grotesques. Selon certains historiens et journalistes, les émeutes de Sétif et de Guelma n'auraient été que des actes de banditisme réprimés par des forces de sécurité attentives aux règles. M. Chirac a récemment présenté des excuses honorables aux Malgaches pour des massacres qui ressemblent fort à ceux de Mai 1945 en Algérie. A-t-on jamais demandé à la France de présenter des excuses pour l'histoire commune de nos deux pays ? Je reste persuadé que cette culture coloniale rénovée et réhabilitée est à l'origine de l'extraordinaire compassion que les médias français en particulier (mais on peut dire la même chose des Anglais) ont manifesté à l'égard de ces colons présentés comme des victimes expiatoires. Plutôt que de rappeler les terres qu'ils ont volé pour s'y installer et les malheurs qu'ils ont causé à un peuple martyr, les reportages insistaient sur ces histoires poignantes de gens racistes pour la plupart et installés depuis « trente ans ». Les Palestiniens qu'ils avaient délogés étaient , eux, installés depuis des millénaires. Tout s'est passé comme un remake du film du départ des Français d'Algérie, poussés à la mer non pas par les Algériens, mais par l'OAS et le désir de de Gaulle de faire le vide. Ces colons fondamentalistes ont servi d'exutoire à une histoire mal vécue et mal digérée et dans laquelle nous avons notre part de responsabilité. Les médias occidentaux se sont rendus complices d'une infamie historique en présentant ces évacuations très limitées comme un pas décisif vers la paix. Dans la conscience historique européenne d'aujourd'hui, les Palestiniens ont eu le maximum et il leur reste à vivre avec les centaines de colonies qui grignotent leur pays et empêchent physiquement la création d'un Etat palestinien viable. La situation en Palestine représente un enjeu majeur pour l'apaisement des esprits dans le monde. Comme l'avait démontré Edward Saïd, la situation créée par la primauté des mythes religieux sur la raison et les lois humaines (dont la résolution 245 de l'ONU) a façonné l'intégrisme juif avant le fondamentalisme musulman. Cette logique de non-droit s'appuie largement sur la survie de cette culture coloniale qui sert à justifier les pires crimes contre l'humanité. Le nazisme a été fort justement dénoncé dans ce qu'il avait de démoniaque et de dévastateur pour les peuples d'Europe, dont les juifs. Le colonialisme, pour sa part, appartient encore à la culture du vainqueur sur le champ de bataille. Sauf que les Algériens ont vaincu ce colonialisme et n'ont aucune raison d'en accepter les résurgences modernes. Autres lieux, autres atavismes de l'histoire. Le cyclone Katarina a montré l'ampleur des distorsions sociales qui existent encore au cœur des Etats-Unis d'Amérique. L'immense détresse des Afro-Américains en Louisiane après le passage du typhon a soulevé bien des questions et des passions. Les médias français se souviennent que la Louisiane leur avait jadis appartenu avant que Napoléon ne la vende aux nouveaux Etats-Unis indépendants de Thomas Jefferson. Et de compatir sur cette ancienne colonie. Les gens de culture se sont souvenus de la Nouvelle-Orléans, capitale du jazz surtout dans la première moitié du XXe siècle. Mais ce que les téléspectateurs du monde entier ont découvert en suivant ce second grand feuilleton de l'été, c'était les incroyables disparités qui ont remplacé un apartheid qui n'avait officiellement disparu qu'à la fin des années 1960. Les Jazzmen comme Louis Amrstrong ont chanté de leur temps le fameux Sunny side of the street, ce côté ensoleillé où se réfugiaient les Noirs du Sud, puisque le côté à l'ombre était réservé aux Blancs. La ville était censée avoir été évacuée, mais en réalité, seuls les Blancs et les plus nantis des Noirs avaient pu partir. L'immense majorité des Noirs est restée faute de moyens. On a découvert, et les Américains les premiers, qu'au sein même du pays le plus riche et le plus puissant du monde, un Tiers-Monde qui survivait côtoyait les nantis, mais de loin. Ce Tiers-Monde a subi le cyclone de plein fouet, tout comme les populations asiatiques avaient été dévastées par le tsunami. En guise d'aide et de secours, peu de choses prévues. Et malgré l'étonnement de certains, l'Amérique de Bush, ultraconservatrice et ultralibérale, n'est pas conçue pour assister les pauvres, mais pour utiliser leurs forces ou leur capacité de consommation. Le racisme ancestral est mort depuis trop peu pour ne pas laisser derrière lui une autre forme de discrimination plus sournoise, basée sur l'argent. Mais cette discrimination n'est plus l'apanage de l'Amérique. Le quart-monde existe aussi dans le Tiers-Monde et les privilèges y sont encore beaucoup plus ostentatoires et discriminatoires que dans les pays les plus riches.