Les recalés de l'examen de 6e viennent de se racheter après avoir échoué lors de la première session de juin. Nos petits potaches ont donc passé leurs vacances à prier Dieu pour que leurs censeurs ne soient pas trop sévères. Aux parents le farniente d'été et aux enfants le dur labeur. Heureusement que les officiels du ministère de l'Education nationale les ont rassurés en prévoyant un taux de réussite de 98%. Pas moins ! A quoi rime cet examen si le pronostic atteint des scores aussi staliniens avant même que les neurones ne soient mises à contribution ? En réalité, la vrai question à poser serait la suivante : A qui profite la réintroduction d'un obstacle gommé depuis belle lurette par la pédagogie universelle ? Historique. La sixième, le certificat d'études primaires (anciennement baccalauréat d'études primaires), le BEPC, le BE, la Première, partie du bac, la deuxième partie du bac, ce sont là des vestiges de la France coloniale et capitaliste. Ils virent le jour pour des raisons autres que pédagogiques. Le pouvoir bourgeois de l'époque (fin du XIXe et début du XXe siècle) avait une peur bleue de perdre un jour ses privilèges au profit des ouvriers. A titre de prévention, il dressa un barrage aux enfants des classes défavorisées, les empêchant d'accéder en grand nombre aux études supérieures. La reproduction des classes sociales sera ainsi l'une des missions assignées à l'institution scolaire. Les « héritiers » du pouvoir politique se fabriquèrent (et se fabriquent toujours) à partir de l'école par des mécanismes bien huilés qui portent évidemment une couche de vernis pédagogique. Les dirigeants politiques du monde entier connaissent ce théorème vulgarisé par les travaux de Bourdieu, Baudelot et Establet. Pointerait-il son nez (ce théorème) en Algérie alors que le pays géniteur a mis de l'eau dans le vin des partisans de cette reproduction sociale ? A l'exception du bac - qui n'en a pas pour longtemps -, tous les examens de la France jacobine ont été supprimés. C'est le contrôle continu cher aux pays anglo-saxons qui fait dorénavant office de baromètre et de stimulant aux efforts des élèves. Un stimulant efficace quand il est entre de bonnes mains. Evidemment, le contrôle continu relève d'une évaluation directement liée à la pédagogie de la réussite qui suppose que toutes les conditions sont réunies pour que l'élève n'échoue pas. Il s'agit de matérialiser dans les faits de la pratique quotidienne les deux principes de toute démocratie : l'égalité des chances et l'égalité des possibilités. Et c'est là la noblesse du métier d'enseignant. Et c'est là la grandeur de la responsabilité confiée aux gestionnaires du secteur de l'éducation : asseoir les bases solides d'une pédagogie de la réussite. L'Algérie serait-elle frappée d'une tare congénitale qui la condamnerait ad vitam æternam à la traîne des pays... pauvres en matière d'éducation ? La première conséquence de la réintroduction de cet examen a vite surgi : les maquignons de la pédagogie ont vu leurs carnets de commande enfler. La course aux cours de soutien a commencé avant que les emplois du temps ne soient distribués aux élèves. Les prix, eux, ont pris leur envol. Ils sont fixés par une sorte de maffia organisée dans l'ombre des salles de profs. Des enseignants sans foi ni loi redoublent d'imagination pour trouver l'astuce qui attirera le maximum d'élèves dans le garage ou la cave qui fera office de salle de classe bondée à craquer. Cette arnaque à ciel ouvert - le bachotage étant par définition antipédagogique - se nourrit de l'angoisse des parents. A partir de maintenant, elle va se doper encore plus avec la bénédiction des autorités qui ont mis la pression sur les élèves et leurs parents via ces examens de passage. Et dire que le contrôle continu aurait suffi pour arrêter cette gangrène morale que sont les pratiques des maquignons de la pédagogie. Pour finir, un rappel et une contradiction. L'examen terminal de fin de cycle - pour accéder au cycle suivant - appartient à la pédagogie traditionnelle dominée par la transmission des connaissances que l'élève doit mémoriser à des fins de restitution. Il prend les habits d'un archaïsme de mauvais aloi comparé aux progrès de la pédagogie moderne. Cette dernière supprime la systématisation de l'acte pédagogique essentiellement axé sur la transmission/stockage des connaissances. Au moment où l'on importe une innovation de taille - l'approche par les compétences -, voilà que l'on revient à un type d'évaluation dont la négation est l'essence même de cette innovation. C'est au royaume d'Ubu que l'on marie une chose et son contraire, pas dans un système scolaire.