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« L'élitrisme »
Examens scolaires de fin de cycle
Publié dans El Watan le 26 - 05 - 2007

Les fins d'années s'égrènent au même rythme et dans la même ambiance de stress et d'angoisse. Evidemment nocifs pour l'équilibre nerveux des élèves — sans parler des autres désagréments — ce climat puise son carburant dans la logique de fonctionnement d'un certain type de système scolaire.
Le souvenir de ce dernier est encore vivace dans les mémoires. A raison de sept examens de passage, le système, en vigueur en France et en Algérie jusqu'au début des années 1960, était censé produire l'élite du pays. Avec une sélection précoce dès le primaire, il arrivait à faire accéder aux études supérieures un peu moins de 15% — d'une classe d'âge : c'était la fameuse élite. Les 75% restants étaient exclus et allaient rejoindre les candidats éligibles à l'illettrisme. Cette situation a de tout temps été dénoncée par d'éminentes personnalités du monde de l'éducation (psychologues, sociologues, psychiatres, pédagogues,..). Elles mettent en avant la perversion dont a été victime l'excellence scolaire quand elle est jaugée à la seule aune des examens de fin de cycle.
Antinomie éthique
Partisans de l'école républicaine, celle de la réussite pour tous, ces novateurs ont débusqué la mise en équation idéologique par le pouvoir — de manière insidieuse, faut-il le rappeler — de deux valeurs antinomiques sur le plan éthique, à savoir l'excellence et l'élitisme/sélection précoce, une marque de fabrique caractéristique de la France jacobine des temps anciens. A l'époque,l'école était (est ?) mandatée pour reproduire les classes sociales. Certes depuis mai 1968, les choses ont évolué vers plus de démocratie avec la suppression des examens de sixième, du CEP, du Bepc et du BE. Encore que... Quand ils sont conjointement conçus par le pouvoir et perçus par les élèves (et les parents) sous la forme d'épée de Damoclès, ces examens sont porteurs — entre autres — de discrimination sociale. Censé régir ce type d'évaluation, le principe d'égalité des chances devient caduc dans la mesure où les élèves ne disposent pas tous des mêmes possibilités pour réussir. Il est évident que le principe d'égalité des chances ne s'arrime pas automatiquement à celui d'égalité des possibilités. Nous n'avons qu'à comparer le vécu social et scolaire d'un élève de Tin-Zaouatine, dans l'extrême Sud algérien, avec celui de son camarade d'un quartier huppé d'Alger. L'injustice saute aux yeux. Pour être opérationnel sur le terrain scolaire, ce couple de principes a besoin d'être soutenu par un volontarisme politique. Le déséquilibre socioéconomique nourrit la pauvreté et l'exclusion. Avec l'apport décisif des NTIC à la bonification de la scolarité —télévisions numériques, didacticiels, dictionnaires et bibliothèques virtuelles — l'écart se creuse entre les enfants issus de milieux différents. Les enfants des « damnés de la terre » se transforment en damnés de l'école avant de rejoindre — chômage et piston obligent — un statut identique à celui de leurs parents. L'apartheid scolaire n'est pas une vue de l'esprit mais bel et bien le produit d'une société à deux vitesses : une pour les riches, les minoritaires, et l'autre pour les pauvres, la majorité. A-t-on besoin de sortir de St-Cyr pour anticiper sur les conséquences de ces discriminations scolaires et sociales ? Elles annoncent un « tsunami de frustrations » qui peut mettre en danger la cohésion sociale. On aura compris que la responsabilité de l'école/institution n'est pas engagée dans ce cas de figure. C'est au pouvoir politique qu'incombe l'impérieuse mission de prévenir ces dérives. Gouverner c'est prévoir, dit -on, alors autant réfléchir sur les conséquences — à court, moyen et long termes — de la politique éducative mise en place à l'ombre (et imposée par) des choix stratégiques arrêtés dans les sphères de l'économie, de la culture et du social. Ne nous reste-t-il qu'à sombrer dans la fatalité de l'élitisme, pourvoyeur — parait-il — d'excellence scolaire ou simplement supprimer ces examens de fin de cycle ? Entre ces deux extrêmes se faufile le bon sens. La littérature pédagogique abonde d'ouvrages qui traitent de cette problématique. Des avancées considérables ont été enregis0trées dans l'amélioration de la vie scolaire. Elles préfigurent la réussite pour tous les élèves qui franchissent le portail de l'école à cinq ou six ans. Certains pays amènent jusqu'à 95% d'une classe d'âge aux portes des études supérieures. Que faire ? D'abord, adapter l'école à l'enfant afin qu'il saisisse tout le sens de sa présence en classe et des efforts qui lui sont demandés. En un mot, l'école doit le motiver pour les études. La motivation consciente — à ne pas confondre avec celle, artificielle des examens et des récompenses — est l'essence même de la pédagogie ; sans elle point d'éducation durable. D'ailleurs, que reste-t-il des kilomètres de lignes de leçons apprises par cœur tout au long d'une scolarité ? Elles sont oubliées aussi vite qu'elles ont été avalées dans un climat de coercition administrative, de pression parentale et d'angoisse de l'échec. Des méthodes existent qui assurent une stimulation et un encouragement à l'effort sans que la motivation ne vienne de l'extérieur. Elle émanera de l'élève lui-même : l'automotivation conduit inévitablement au succès et à la réussite. Ayant saisi le sens et l'utilité de l'école, l'enfant accédera à ce niveau de motivation suprême et que l'on peut appeler : la conscientisation. Arrivé à cet état d'esprit, il saura choisir le chemin de la réussite en fonction de paramètres qu'il maîtrisera et qui lui seront bénéfiques. Oui ! L'école de la « réussite pour tous » est celle qui fait prendre à l'enfant conscience de son statut d'élève et d'acteur social en devenir. Dans ce cas de figure, les examens/obstacles de sélection sont inopportuns. Ils alimentent les déperditions et ne garantissent nullement l'effort librement consenti. En réalité, l'essentiel réside dans la mise en harmonie des deux principes clés de l'école républicaine : l'égalité des chances et l'égalité des possibilités. Une telle politique éducative pourra redonner l'espoir à l'élève, à tous les élèves. Agir autrement au motif de former une élite dès la maternelle c'est s'engouffrer dans la machine à fabriquer à côté d'une élite minoritaire, une écrasante majorité : celle des illettrés. D'où le néologisme volontairement fantaisiste « d'élitrisme » pour qualifier les ratés d'un système inégalitaire.


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