Dans le regard réciproque que l'Europe et le monde arabe islamique se portent, la relation culturelle euroméditerranéenne est une relation brisée. La communauté du destin euroméditerranéen a été celle des Croisades (1099-1289), la prise de Constantinople (1452) et surtout celle de la chute de Grenade (1492) qui met fin aux échanges séculaires entre l'Orient et l'Occident, masque le début d'une occultation et d'un rejet de l'héritage arabe qui, pourtant, fut décisif dans l'évolution de la région méditerranéenne et ouvre la voie à l'éviction des musulmans d'Espagne en 1492 puis en 1609 et à l'inquisition. La deuxième a été celle de la colonisation qui introduisit des oppositions tragiques et des clivages irrémédiables. La troisième a été celle de la création de l'Etat d'Israël et le soutien indéfectible à cet Etat, en dépit de l'injustice flagrante faite à un peuple arabe, à majorité musulmane, le peuple palestinien.La quatrième a été « l'Agression tripartite » (1956) contre l'Egypte nassérienne lors de l'expédition de Suez et surtout la guerre d'Algérie (1954-1962) qui avait fait 1 million et demi de chouhada, redoublée en 1967 par la guerre des Six-Jours où l'écrasante majorité des Européens avaient pris fait et cause pour le « petit David » menacé par le « Goliath arabe ». La dernière cassure a été celle des deux guerres du Golfe, guerre Iran-Irak et guerre contre l'Irak, dont le résultat tangible, aux yeux de l'opinion arabe et musulmane, a été de « casser les reins » à deux Etats qui pèsent est pèseront sur l'échiquier régional. Il faut tenir compte de ces « cassures » produites non pas par l'Islam, mais pas des actions souvent occidentales et européennes en terre d'Islam pour raccommoder la relation culturelle entre l'Europe est le versant Sud-Est méditerranéen et la fonder sur des bases nouvelles. Pour ce faire, quelques idées méritent d'être creusées : L'approche confrontationnelle telle qu'elle est prophétisée par Samuel Huntington et par certains responsables de l'OTAN en manque de « nouveau ennemis » pourrait se révéler une « self-fulfilling prophecy » si on n'y prend pas garde, car à force de voir dans l'autre (l'Arabe, le musulman) un ennemi, celui-ci finira par se comporter comme tel. Jamais l'Islam n'a été aussi vilipendé par un Occident effrayé qui le comprend d'ailleurs mal. Le pire, c'est que les « musulmans » eux-mêmes brouillent le message spirituel à des fins politiques. L'Algérie en avait vécu tragiquement l'expérience. L'Islamisme est le produit d'une époque et d'un espace donnés. Pour le comprendre, il ne faut pas revenir aux textes coraniques, mais décrypter les réalités sociales, économiques et politiques où il se développe. « Dieu voulait que l'Islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique ». Ce n'est donc pas à la théologie qu'il faut faire appel, mais aux sciences humaines. Cela explique d'ailleurs la diversité des groupes islamistes, les différences marquées dans leurs relations avec les Etats et le traitement différencié des Etats à leur égard (stratégie d'inclusion comme en Jordanie, de cooptation sélective comme en Egypte, d'exclusion, comme le cas de la Tunisie et d'instauration d'un projet de charte de paix et de réconciliation nationale soumise à référendum le 29 septembre 2005 comme en Algérie). Quelle que soit l'idée que se fait l'Europe des courants islamistes, ceux-ci ne représentent pas un fait pathologique et ne doivent pas être traités de manière « chirurgicale ». Au contraire, l'Europe doit favoriser le dialogue entre les gouvernements et les groupes modérés parmi les « Islamistes » afin d'arriver à leur intégration plutôt qu'à leur exclusion du champ politique. Les conflits entre les deux rives de la Méditerranée portent moins sur les valeurs que sur les intérêts. Mais on masque ceux-ci, en mettant en avant celles-là. Cela ne veut pas dire que le conflit des valeurs doit être minimisé (il est réel), mais il ne doit pas servir à occulter les véritables enjeux qui sont, eux, d'ordre politique (la démocratie), social (le développement pour tous), géopolitique (la sécurité pour tous) et culturel (accéder à une modernité assumée et maîtrisée). Il n'y aura pas de partenariat réussi en Méditerranée sans une « stratégie de co-appartenance » à une même aire méditerranéenne fondée sur une Méditerranée solidaire et non sur des Etats méditerranéens solidaires. Cela implique d'aboutir à une issue honorable du problème du Sahara occidental et surtout de démêler les conflits du Proche-Orient. Toutes ces idées renvoient en fait à une exigence de pédagogie à l'échange culturel, dont l'Andalousie de jadis nous offre l'illustration la plus réussie. Il est important aujourd'hui de faire connaître la culture islamique, de la remettre à sa vraie place et de la faire participer au dialogue des civilisations. Il est certes difficile de cerner l'Islam car ce mot signifie d'abord et avant tout une religion, mais aussi un système social et une culture avec ses modes originaux de vie, de pensée et d'expression artistique. En guise de conclusion, le soutien de l'Europe au partenariat euroméditerranéen ne doit pas seulement procéder d'un argumentaire sécuritaire de maîtrise des déséquilibres politiques, des tensions sociales et des flux migratoires, mais d'une conviction réelle qu'une Méditerranée prospère et dynamique, forte et stable serait en mesure d'offrir à l'Europe un « support pour une affirmation géopolitique de soi ». L'Europe ne pourra pas s'affirmer en Asie, en Amérique latine ou en Afrique si elle ne parvient pas à s'affirmer dans son espace de proximité immédiate. Dans cette affirmation de son rôle et de son image, l'aide financière est un levier utile, peut-être pas le plus significatif. Plus importants sont les échanges culturels, la promotion de la cohabitation, le respect des différences, du pluralisme et de la diversité. (*) l'auteur est Docteur en économie industrielle-Aïn Defla. BIBLIOGRAPHIE : Déclaration de Barcelone Partenariat euroméditerranéen (Bichara Khader). Méditerranée : défis et enjeux (Paul Balta). Islam politique (Mohamed Saïd Al Ashmawy). L'Islamisme au Maghreb (F. Burgat). Islam, hier, demain (Arkoun et L. Gardet).