Après les militaires américains, les médecins sont maintenant mis en cause pour leur participation aux tortures dans la prison d'Abou Ghraïb, en Irak. La revue médicale anglaise The Lancet a publié hier un article de Steven Miles, un médecin américain. Il accuse le personnel médical présent dans la prison irakienne d'avoir falsifié des certificats de décès afin de couvrir des meurtres. Selon Miles, « le système médical a participé à la mise au point et à l'application de méthodes d'interrogatoire psychologiquement et physiquement coercitives ». Son enquête se fonde sur des informations recueillies lors d'audiences au Congrès américain, de témoignages sous serment de détenus et de soldats, de comptes rendus parus dans des revues médicales et d'éléments fournis par des organisations humanitaires. Le Dr Miles affirme que, lors d'un interrogatoire particulièrement intense, « après la perte de conscience, un détenu a été réanimé par un médecin, qui a ensuite quitté la salle d'interrogatoire, pour que celui-ci puisse reprendre conscience ». Les médecins d'Abou Ghraïb n'ont pas donné de compte rendu de maladies, fractures, blessures et décès des détenus à leur famille. Ce qui est contraire à la Convention de Genève. Le personnel médical a ainsi participé à la dissimulation de traces de tortures. Le certificat médical officiel d'un prisonnier décédé affirmait qu'« un coup de chaleur avait provoqué une crise cardiaque à cause de son coma ». Le cadavre avait trois fractures crâniennes, une fracture du pouce et des brûlures sévères aux plantes de pied. En novembre 2003, le général irakien Mow Housh est étouffé dans un sac de couchage et ne peut être ranimé. Le chirurgien écrit que le prisonnier est décédé « par mort naturelle ». La polémique continue autour de la prison d'Abou Ghraïb. Comme l'a dit l'ancien directeur de l'unité contre-terroriste de la CIA, Cofer Black : « Il y a eu un avant-11 Septembre et un après-11 septembre. Après le 11 septembre, les gants sont tombés. » Le commandant en chef des forces américaines en Irak, le général Ricardo Sanchez, avait permis que les responsables d'Abou Ghraib utilisent des chiens de garde militaires et qu'ils soumettent les détenus à des températures extrêmes, à des habitudes de sommeil inversées, à des privations sensorielles et à un régime alimentaire se limitant à de l'eau et du pain. Les photographies des sévices, qui ont fait le tour du monde, suggèrent que les militaires, affichant un air satisfait, n'avaient rien à cacher à leurs supérieurs. Par ailleurs, quand le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s'est plaint aux forces de la coalition, l'armée a réagi en essayant de réduire l'accès de la Croix-Rouge à la prison d'Abou Ghraïb. Hier, pourtant, le quotidien américain le Washington Post cite une enquête de l'armée américaine, le rapport « Fay ». Des responsables de la défense, dont l'identité n'est pas dévoilée, estime que l'enquête menée par le général George Fay a montré que les sévices en Irak étaient le résultat d'une combinaison d'erreurs de direction, d'un manque de discipline et d'une « confusion totale » dans la prison. La hiérarchie militaire américaine serait seulement responsable de ne pas avoir prêté attention aux informations sur l'existence de sévices ou aux rapports du CICR. L'enquête estime que les soldats n'ont pas reçu l'ordre de torturer leurs détenus. Selon le Washington Post, aucun responsable de l'armée ne devrait donc être inculpé. Le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, sera donc amplement satisfait de ce rapport. En avril 2004, il affirmait que les tortures d'Abou Ghraïb étaient un cas « exceptionnel et isolé ».