Le procès du colonel Steven Jordan, le seul officier américain poursuivi après le scandale des sévices infligés à des prisonniers irakiens à la prison d'Abou Ghraïb, va s'ouvrir demain. Ce colonel et une poignée de soldats vont payer pour ce crime et bien qu'aucun des hauts responsables civils et militaires du Pentagone n'a été poursuivi, Abou Ghraïb frappe de plein fouet Bush dont le Congrès s'apprête à examiner son bourbier irakien. Les images, qui ont fait le tour du monde et où on voit des détenus irakiens nus, empilés sur le carrelage de la prison, attachés à des fils électriques, sous la menace de chiens d'attaque la tête couverte de sous-vêtements féminins ou contraints de parader nus devant des gardiennes américaines, avaient déjà brisé l'élan de sympathie internationale envers les Etats-Unis, suscité par les attentats du 11 septembre. L'année dernière, Bush a, en personne, estimé que ce scandale représentait la plus grosse erreur commise par son pays en Irak. Le ministre de la Défense d'alors, son ami, Donald Rumsfeld, a assuré avoir présenté sa démission à deux reprises au plus fort du scandale, tout en maintenant que les sévices n'étaient le fait que de quelques pommes pourries. Au total, onze soldats ont été condamnés à des peines allant de quelques heures de travaux d'intérêt général, à 10 ans de prison. La plupart ont assuré avoir simplement obéi aux ordres. Seule la commandante des prisons américaines en Irak à l'époque, l'ex-générale Janis Karpinski, a été rétrogradée et sans passer devant la justice militaire. Retournée à la vie civile, elle a enfoncé le clou en expliquant en 2005 que les sévices étaient le résultat d'ordres et de règles venant des commandants militaires en Irak jusqu'au sommet du pouvoir civil à Washington. Le Pentagone a lâché du lest en offrant en pâture le colonel Jordan responsable du centre des interrogatoires en Irak à l'époque de l'affaire. Accusé d'avoir menti aux enquêteurs en affirmant qu'il n'avait pas été témoin de sévices ni vu de prisonniers nus, il risque 16 ans de prison. Le procès, qui devrait durer deux semaines, va faire remonter en surface un autre dossier du bourbier irakien : les interrogatoires abusifs, les exactions et la torture physique. Le scandale d'Abou Ghraïb ne représente en fait que la partie visible de l'iceberg de l'occupation de l'Irak, un dossier dans la politique américaine d'interrogatoires secrets et de torture dans sa guerre contre le terrorisme. D. B.