"Tu fixeras longtemps mes yeux, mais tu n´y trouveras pas mon regard. Il a été dérobé par un scandale! Mon coeur ne m´appartient pas, il n´appartient à personne. Il est indépendant de moi, mais il n´est pas devenu une pierre pour autant". Mahmoud Darwich (poème de juin 2007) L´Irak se rappelle, journellement, à notre conscience, non pas du fait de nouveaux massacres, rapportés de moins en moins par les médias occidentaux bien qu´ils se chiffrent par dizaines chaque jour, mais parce qu´on apprend incidemment et d´une façon tout à fait discrète de la part des médias que les officiels américains savaient tout depuis le début sur la torture à Abou Ghraïb. Pour rappel, la prison d´Abou Ghraïb est une prison construite par les Britanniques dans les années 1960, située dans la ville d´Abou Ghraïb, à 32km à l´ouest de Baghdad. Ce complexe est surtout connu suite au tollé que suscita la publication de photos prises par des soldats américains montrant des prisonniers torturés, attachés à des câbles électriques, obligés de poser nus ou bien menacés par des chiens de garde voire, désacralisés après leur mort. Depuis 2004, onze soldats américains ont été jugés et condamnés pour le scandale des tortures d´Abou Ghraïb. Dans une livraison du magazine New Yorker, il est rapporté que Rumsfeld et le Pentagone étaient au courant de ce qui se passait à Abou Ghraïb. Le général deux étoiles, Antonio Taguba, chargé de la première enquête sur le scandale de la prison irakienne affirme dans ce journal que la hiérarchie militaire était au courant des abus perpétrés sur les détenus par les soldats américains De hauts responsables du Pentagone, dont l´ancien ministre de la Défense, Donald Rumsfeld en personne, ont été directement impliqués, du moins en tant que donneurs d´ordres, dans les méthodes abusives d´interrogatoire pratiquées à la prison d´Abou Ghraïb en Irak. Le général qui a mené la première enquête sur le traitement réservé aux prisonniers irakiens dans cette prison aurait été contraint, de ce fait, à prendre une retraite anticipée.(1) Au courant "Le général affirme avoir été frappé d´ostracisme par le Pentagone après la remise de son rapport exhaustif sur les désormais tristement célèbres sévices commis à Abou Ghraïb qui ont déclenché un tollé dans le monde entier et ont conduit à une refonte des politiques américaines en matière d´interrogatoire et de détention. (...) Antonio Taguba a assuré qu´on lui avait ordonné de limiter ses investigations aux simples soldats qui figuraient sur les photos avec les prisonniers, ainsi qu´à leur unité. Il a pourtant toujours pensé que ces hommes avaient agi sur ordre venu d´en-haut. A son avis, le haut commandement en Irak était forcément au courant des techniques d´interrogatoire agressives en vigueur dans la prison d´Abou Ghraïb qui ressemblaient d´ailleurs à celles utilisées pour les prisonniers importants du centre de détention de Guantanamo Bay à Cuba".(1). Antonio Taguba accuse également l´ancien ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, d´avoir menti au Congrès lorsqu´il a témoigné, en mai 2004, sur l´enquête en minimisant ce qu´il savait des abus. "Je sais que mes pairs de l´armée seront furieux que je parle, mais le fait est que nous avons violé les lois de la guerre à Abou Ghraïb. Nous avons violé les conventions de Genève. Nous avons violé nos propres principes et nous avons violé le coeur de nos valeurs militaires. Le stress au combat ne constitue pas une excuse, et je pense, aujourd´hui encore, que les chefs militaires et civils responsables doivent répondre de leurs actes."(1). Cet aveu tardif éclaire d´un jour nouveau ce que certains appellent "The american way of war", "la façon américaine de faire la guerre". Revenons cependant, aux faits: "C´était pour rigoler." C´est ainsi que Lynddie England, la jeune femme soldat de première classe accusée d´abus sur des détenus irakiens de la prison d´Abou Ghraïb, a répondu à ses juges, a rapporté USA Today. Lors des auditions du 3 août 2004, sur la base militaire de Fort Bragg, en Caroline du Nord. Il s´agissait de déterminer si Lynddie England devait être traduite en cour martiale "pour des faits qui ont outragé le monde arabe et embarrassé George W.Bush", précise l´International Herald Tribune. Le quotidien se souvient de cette photo qui a fait le tour du monde, où l´on voit la jeune femme tenant en laisse un prisonnier nu.(2). D´ailleurs, une enquête menée par le Pentagone, a révélé que la CIA aurait dissimulé l´existence de plusieurs dizaines de prisonniers irakiens. Le quotidien new-yorkais met directement en cause la responsabilité du ministre de la Défense américain. (...) M.Rumsfeld a autorisé le recours à des techniques d´interrogatoire brutales à la prison de Guantanamo. (..) Le Washington Post avance que ces enquêtes ont démontré l´insuffisance flagrante des réponses de l´administration. "La meilleure solution est celle recommandée cette semaine par huit généraux à la retraite: la création d´une commission indépendante, sur le modèle de celle du 11 septembre 2001"(3) Cette commission ne fut jamais installée. Lynddie England fut reconnue coupable, ses avocats avaient tenté de faire venir à la barre le vice-président Dick Cheney et le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, mais elle a été repoussée", La soldate et les sept soldats condamnés ont obéi à des ordres venant de leurs supérieurs directs ou d´encore plus haut. Les responsables ne furent pas inquiétés, jusqu´à ces nouvelles révélations du général Antonio. On enterra l´affaire en condamnant des lampistes. Comme solde de tout compte de l´horreur d´Abou Ghraïb, il y a un an, Washington et Londres reconnaissaient leurs erreurs en Irak, mais confirmaient le maintien de leurs troupes. Comme l´écrit Jean Louis Turlin, "Bush a reconnu que sa façon de parler avait "envoyé de mauvais signaux", que "les choses ne se sont pas déroulées comme nous l´avions espéré" et que "la plus grosse erreur, du moins en ce qui concerne l´implication de notre pays, c´est Abou Ghraïb. Nous payons cela depuis un bon moment"...(4) Les rapports officiels du gouvernement et de la Croix-Rouge sur les sévices et tortures infligés aux détenus dressent un inventaire exhaustif des incidents, erreurs et responsabilités. Ils sont repris dans deux ouvrages distincts, The Abou Ghraïb Investigations, compilé par l´ancien journaliste de Newsweek Steven Strasser, et Torture and Terror, signé d´un collaborateur de la New York Review of Books, Mark Danner.(5) Les documents eux-mêmes racontent les faits....A l´origine de tout, il y a la décision cruciale du président Bush de qualifier les prisonniers de la guerre contre le terrorisme de "combattants irréguliers" [unlawful combatants] et non pas de prisonniers de guerre....On retrouve la même ambivalence étrange dans les consignes du ministre de la Défense, Donald Rumsfeld: en décembre 2002, il autorise les méthodes d´interrogatoire poussées pour les détenus de Guantanamo -puis il revient sur sa décision six semaines plus tard. Les documents montrent que le président avait été clairement averti des dangers de la ligne de conduite qu´il avait fixée- la note rédigée par Colin Powell en janvier 2002 est, à cet égard, presque bouleversante de clairvoyance et de hauteur de vue. Pourtant, Bush penchait de toute évidence pour la fermeté. Voici sa formulation précise: "La politique des forces armées des Etats-Unis consistera à continuer à traiter les prisonniers humainement et, dans la mesure où cela est compatible avec les impératifs militaires, d´une manière conforme aux principes de la convention de Genève." (C´est moi qui souligne.) Remarquons les restrictions".(...) Ce qu´il y a de remarquable dans ces abus, c´est tout d´abord leurs points communs, et d´autre part, leur localisation géographique. Personne n´a plus aucune raison de croire que ces incidents étaient circonscrits à une seule prison proche de Baghdad. Ils se sont produits partout: de Guantanamo Bay jusqu´en Afghanistan en passant par Baghdad, Bassorah, Ramadi et Tikrit, et, à ce que nous savons, dans un certain nombre de lieux de détention secrets où des "détenus fantômes" étaient internés afin d´être soustraits à la surveillance de la Croix-Rouge.(5) (...) Pour une raison ou pour une autre, les nuances établies par Bush n´étaient jamais parvenues jusqu´à ce capitaine. Dans son courriel, il demandait à d´autres officiers du renseignement militaire de lui indiquer quelles étaient les techniques d´interrogatoire illégales qui marchaient le mieux. Puis il concluait: "Beaucoup d´entre nous commencent à ne plus prendre de gants avec les détenus, le colonel Boltz nous a bien fait comprendre que nous devons briser ces individus."Les dégâts ont, de surcroît, été aggravés par le refus de Bush de sanctionner ceux qui ont contribué à rendre tout cela possible. Ceux qui ont une réelle responsabilité dans cette affaire se sont vus récompensés. Rumsfeld a été maintenu en place pour un second mandat, tandis que Colin Powell, qui avait mis le président en garde, a été poussé vers la sortie. Jay Bybee, Les généraux Ricardo Sanchez et John Abizaid ont été maintenus à leur poste. Alberto Gonzales, vient d´être nommé à la plus haute fonction juridique du pays, celle de ministre de la Justice.(5) L´armée britannique n´est pas en reste, à l´époque d´Abou Ghraïb. Le tabloïd News of the World a rendu publique une vidéo montrant huit soldats britanniques frappant brutalement quatre adolescents irakiens. Les images, choquantes, ont été reprises dans le monde entier. Pour la presse londonienne, ces abus, perpétrés par une minorité, vont dégrader la réputation de l´ensemble de l´armée. Pour rappel, le nouveau crime des militaires britanniques à Al-Amara. L´offensive des militaires britanniques contre la ville d´Amara, le 18 juin 2007 dans la province de Missane, dans le sud irakien, a fait au moins une vingtaine de tués et 45 blessés. Pour continuer à "pacifier" sans être impliquée, l´armée américaine sous-traite: "En 48 mois de guerre, écrit René Naba; l´Irak, le plus important champ de tir de l´époque contemporaine, est devenu le plus important champ de mercenariat du monde. Près de cent mille gardes privés (100.000), le terme pudique employé pour désigner les mercenaires des temps modernes, sont en mission dans ce pays, au point de constituer le deuxième contingent par ordre d´importance opérant en Irak, derrière les Etats-Unis, surpassant de loin l´ensemble des autres forces de la coalition (britanniques, polonais, australiens etc.), selon les estimations oc.cidentales. Le recours au mercenariat se justifie pour de multiples raisons: Une commodité comptable d´abord, car en cas de décès, les mercenaires ne figurent pas sur la liste des bilans officiels américains ou anglais. Une commodité opérationnelle ensuite car les mercenaires ne sont pas soumis aux astreintes militaires et disposent d´une plus grande marge de manoeuvre. En cas de scandale, comme c´est le cas avec les tortures de la prison d´Abou Ghraïb, l´honneur d´un pays n´est pas entaché dans la mesure où la responsabilité de la forfaiture en incombe aux sous-traitants. Le maître d´oeuvre de l´opération mercenariat en Irak est la firme américaine Blackwater, une firme de "prestataires de service", créée en 1997, par Erik Prince, héritier d´une riche famille de chrétiens ultraconservateurs du Michigan et ancien membre des commandos de marine les "Navy Seal".(6) En définitive, ces révélations ne sont pas faites pour nous étonner. Elles nous incitent cependant, à nous pencher sur ce qui reste de la société irakienne, comme l´écrit, pour sa part Le World Socialist Web Site qui a publié un article de Bill Van Auken rassemblant les faits et statistiques de différents organes de presse et de plusieurs études et sondages, et a brossé un tableau terrifiant de la société irakienne plus de quatre ans après la guerre et l´occupation sous l´égide des Etats-Unis, qui furent elles-mêmes précédées par une décennie de sanctions aux conséquences fatales.(7) Considérées dans leur ensemble, les opérations américaines en Irak sont un sociocide, le meurtre délibéré et systématique d´une société entière. Parmi les points essentiels présentés dans l´article, on trouve: L´occupation américaine est responsable de la mort, du déplacement ou de la disparition de quatre à cinq millions d´Irakiens [sur une population d´environ vingt-deux millions au moment de l´invasion]. L´Irak a connu une augmentation stupéfiante et sans précédent dans le monde de la mortalité infantile. Depuis 1990, l´année de la première guerre du Golfe, le taux a augmenté de 150 pour cent. En 2005, 122.000 enfants irakiens sont morts, la moitié d´entre eux nouveau-nés. La moitié des enfants irakiens souffrent d´une forme de malnutrition, moins d´un tiers vont à l´école et la guerre se traduit en milliers d´enfants orphelins et sans-abri".(7) Une catastrophe pour les Irakiens "Parmi ceux qui n´ont pas quitté le pays, 2000 ont été tués sous l´occupation américaine. Quarante pour cent de la "classe professionnelle" irakienne, qui comprend les médecins, les professeurs, les pharmaciens et autres professions universitaires, ont quitté le pays depuis 2003. En somme, la rencontre des Etats-Unis avec l´Irak a été catastrophique pour la population de l´Irak, et la situation devient pire de jour en jour. Dans les milieux officiels américains, on parle de moins en moins de la "démocratie naissante" de l´Irak, qui n´a jamais été plus qu´un écran de fumée, mais on discute beaucoup plus, cyniquement, de la façon dont les intérêts des Etats-Unis dans le pays, c´est-à-dire les vastes réserves de pétrole, peuvent encore être "sécurisés". Après avoir violé et saccagé le pays, la cabale à Washington calcule encore comment réaliser son pillage....Malgré le silence des grands médias sur la réalité irakienne, une section croissante de la population américaine a honte et est en colère envers ce qui est commis en son nom.(7) Comment en définitive, la première puissance mondiale, celle qui avait un magister moral, l´Amérique de nos rêves, celle d´Armstrong marchant sur la lune, celle de Martin Luther King qui nous appelle à rêver d´un monde meilleur avec son fameux "I have a dream", puisse se fourvoyer dans la démolition d´une civilisation dix fois millénaire, la "mère de toutes les civilisations" en broyant un peuple, ses identités, son espérance pour quelques barils de pétrole dont on sait qu´ils sont porteurs de tous les dangers écologiques. Cette hyperpuissance doit savoir que le bonheur des autres est aussi de se responsabilité. Il est temps de penser à un plan B: Le GMO a montré ses limites. 1.Rumsfeld et le Pentagone étaient au courant de ce qui se passait à Abou Ghraïb. The New Yorker. 18 juin. Repris dans Courrier international: 19/06/2007. 2.Qui est responsable des abus à Abou Ghraïb?" Courrier international août 2004 3.Hamdam Mostafavi: Irak: Rumsfeld et la CIA, transgresseurs de la convention de Genève Courrier international. 10/04/2004 4.Jean-Louis Turlin: Bavures en Irak: le mea culpa de George Bush et de Tony Blair. Le Figaro. 27/06/2006. 5.Abou Ghraïb, scandale sans fin: "C´est aussi ma faute à moi" Courrier international hebdo n°745-10/02/2005 6.Comité de rédaction Les officiels américains responsables du "sociocide" en Irak doivent être traduits en justice. http://www.alterinfo.net. Site wsws.org 25/05/2007 7.René Naba: Irak, le plus important champ de mercenariat du monde. Site Oumma.com Lundi 28/05/2007.