L'écrivain algérien contemporain le plus connu hors des frontières revient avec un livre inattendu : L'Attentat qui est une rupture dans la trajectoire de Yasmina Khadra. Le polar est trop étroit désormais. Le commissaire Llob doit se faire une raison. Son créateur l'a abandonné. C'est définitif. Yasmina Khadra n'est pas un écrivain de l'urgence, un journaliste aspirant écrivain. L'actualité ne le laisse pas insensible. Et tant mieux. Yasmina Khadra flirte avec l'excellence quand il regarde au fond de l'humain. Ses personnages charrient avec eux toutes les fêlures et hésitations de l'humanité. Doutes et « fausses » certitudes. Depuis Les Hirondelles de Kaboul, l'enfant de l'Oranie a délaissé le commissaire Llob pour s'intéresser aux conflits internationaux qui le concernent de très près. Après l'Afghanistan, il a posé son regard sur le conflit israélo-palestinien. Et pas de façon manichéenne. Tous les écrivains, qui se sont attelés à ce sujet, ont multiplié les précautions. Chaque mot est pesé, millimétré. Le sujet est brûlant, très sensible. Dans un restaurant bondé de Tel-Aviv, une femme fait exploser la bombe qu'elle dissimulait sous sa robe de grossesse. Pas très loin du lieu de l'explosion, le docteur Amine, Israélien d'origine arabe, opère à la chaîne les innombrables victimes de l'attentat. Au milieu de la nuit, il est rappelé d'urgence à l'hôpital. On lui apprend que la kamikaze est sa propre femme. La question, la même, lancinante : pourquoi ? Qu'est-ce qui peut pousser une femme comblée, à l'abri du besoin, oasis dans un océan de sang et de larmes, à un acte aussi désespéré ? Les réponses sont multiples, jamais satisfaisantes. Quand on arrive à formuler une réponse, à conceptualiser sa douleur. Ce qui est rarement possible. Les douleurs ne sont pas muettes, grandes ou petites. Elles poussent à l'exclusion, à la solitude, à l'enfermement. Peut-on survivre à la mort ? Le chirurgien se trouve dans l'obligation de comprendre le geste de sa femme. « A quoi sert le bonheur quand il n'est pas partagé, Amine, mon amour ? Mes joies s'éteignaient chaque fois que les tiennes ne suivaient pas. Tu voulais des enfants. Je voulais les mériter. Aucun enfant n'est tout à fait à l'abri s'il n'a pas de patrie...Ne m'en veux pas Sihem. » Une lettre-testament. Toutes les explications sont possibles. Une lecture à plusieurs niveaux. Yasmina Khadra, Mohammed Moulessehoul pour l'état civil, n'est pas prisonnier du commissaire Llob. Il a démontré avec Les Hirondelles de Kaboul qu'il n'est pas seulement un excellent auteur de polars. Avec L'Attentat, il démontre, si besoin est, qu'un grand cœur se cache derrière le plus talentueux des pseudonymes. Mieux, Yasmina Khadra est à l'étroit dans son pays. Il est écrivain contemporain majeur, sans frontières sinon celles de la littérature. Il a réussi, avec Boualem Sansal et Aziz Chouaki, le plus grand défi posé à un écrivain : faire oublier que la littérature algérienne n'a pas sa place au musée. Qu'on peut écrire, et plutôt bien, après Kateb Yacine. Sans complexes. De l'audace et du talent.