C'est indéniable, Yasmina Khadra a du talent. Talent littéraire qui fait sa réputation à travers le monde puisqu'il est traduit dans 24 pays et il est invité dans les principales rencontres culturelles internationales. Cette stature est une fierté pour l'Algérie. L'homme a surmonté des préjugés et des obstacles pour s'imposer dans une scène culturelle où il n'y a pas que du bon. L'écrivain a traîné son passé de militaire comme un boulet. Il l'a compris surtout lorsqu'il s'est mis à défendre l'armée algérienne, cible de critiques à cause de la confusion politique régnant dans le pays à la fin des années 1990, période marquée par une violence intense et des atteintes massives aux droits humains. Cela l'a conduit à écrire un essai maladroit dans lequel il a donné l'impression d'avoir des doutes sur son écriture. Il se justifiait presque d'avoir choisi la littérature et de s'y consacrer en s'installant en France. Il a tenté de régler son compte avec les salons littéraires de Paris en s'autoglorifiant. Depuis, l'écrivain n'a pas cessé d'exhiber son succès comme une arme contre tous ceux qui osent le critiquer. Parce que liés à une actualité immédiate, les derniers romans de Yasmina Khadra – Les Hirondelles de Kaboul, l'Attentat et Les Sirènes de Bagdad – ont fait l'objet de controverses. « Comme personne ne réagissait, j'ai réagi », a-t-il confié à la Chaîne III de la radio nationale. Selon lui, les intellectuels arabes et musulmans ne disent rien sur ce qui se passe dans la région. Est-ce la vérité ? Les critiques soulevées autour de L'Attentat, qui raconte l'histoire d'une Arabe israélienne devenue kamikaze, l'ont déçu. « C'est un hommage que je rends à la résistance palestinienne. Je suis étonné par l'attitude observée par certains intellectuels de chez nous qui sont d'une mauvaise foi épouvantable », a-t-il dit à la radio. Il ne s'est pas arrêté là. « Oser critiquer un tel livre est un véritable sacrilège », ajoute-t-il. Rien que ça ! Comme si la critique littéraire n'avait jamais existé. Même inspirée de faits réels, une fiction peut-elle être érigée au rang du sacré ? « La différence entre moi et eux, c'est que moi j'écris intelligemment. L'audience que j'ai, ils ne l'ont pas. Je dois profiter d'une telle audience pour faire passer des messages clairs et percutants », a ajouté le romancier. Alors faut-il détecter « un message » dans chaque roman même si l'on pense qu'en général l'écrit littéraire est libre ? Yasmina Khadra dit avoir reçu des lettres du monde entier sur « la compréhension » des raisons du combat des Palestiniens. « En Algérie, il y a des gens qui font la fine bouche. Des gens qui n'ont pas encore compris que, pour évoluer, il faut d'abord apprendre à reconnaître le mérite des autres. Ne plus rester dans la frustration et dans l'insignifiance »,a-t-il confié. On a cette impression que Yasmina Khadra craint la polémique d'une manière définitive et il semble se plaire dans l'image d'un tapis rouge déroulé à ses pieds. Il le dit, à demi-mot : « Les Algériens sont fiers de moi. Là où je passe, c'est l'euphorie (...) » S'il est vrai que les artistes, créateurs et écrivains ont l'ego un peu trop gonflé – c'est, à la limite, naturel –, Yasmina Khadra n'a aucune gêne à proclamer, coup sur coup, qu'il est « visionnaire », « né poète », « je suis très en avance »... Ceux qui trouvent à redire sur sa démarche littéraire, sont, à ses yeux, une minorité. Son argument, à propos des critiques de L'Attentat, est amusant : « Les gens qui ont attaqué mon livre ne l'ont pas lu. Ils ont été complexés par sa beauté... » Jeudi 2 novembre, au Salon du livre, il a développé la même idée, disant même que ceux qui l'ont critiqué dans le monde n'ont pas lu le roman, contrairement à ceux d'Israël. « Et ceux qui n'ont pas lu le livre devraient se taire plutôt que de chahuter un livre extraordinaire. Certains ont dit que ce livre est le plus important livre du monde ! », a tranché l'auteur des Sirènes de Bagdad (dernier roman, paru aux éditions Sedia en Algérie). Il y a forcément matière à douter lorsqu'un écrivain commence à décréter, d'une manière martiale, que ses œuvres sont « les plus importantes » du monde. Alors faut-il un Nobel de littérature pour que Yasmina Khadra revienne sur terre et retrouve l'humilité des gens du Sud ? Yasmina Khadra, qui dit n'appartenir à aucun réseau et qui affirme construire sa gloire « sans aucune concession », semble avancer sur un terrain glissant qui mène vers un tunnel sans issue. Son évolution littéraire paraît suivre une trajectoire qui est presque la même du discours dominant sur l'existence des mouvements radicaux au Moyen-Orient, perçue comme une fatalité. Si les écrits de l'auteur de A quoi rêvent les loups ? tendent à mettre en valeur le côté humain de ceux qui versent dans la violence, ils restent sans teneur contestataire, sans remise en cause réelle de l'ordre imposé par les défenseurs des nouvelles théories de la sécurité mondiale. « Je voulais absolument soustraire les sujets que je traite – le terrorisme, le fondamentalisme ou l'extrémisme – à l'influence des médias », a-t-il dit dans un récent entretien. A-t-il réussi ? Difficile de le savoir.