Alors que tous les présents attendaient, avec impatience, hier matin à la Safex, la conférence sur Isabelle Eberhardt par Charles Edmonde Roux, à l'occasion du centenaire de sa mort, un animateur annonce le report inexpliqué de cette rencontre pour être remplacée par un autre rendez-vous avec Lucette Hadj Ali. C'est avec une voix fluette que Lucette Hadj Ali est remontée dans le temps pour se remémorer les moments de combat de son regretté époux Bachir. Le livre de son mari intitulé L'arbitraire, publié par les éditions Apic, a été en fait un prétexte pour revenir sur la vie et l'œuvre de cet homme.Très jeune, Bachir Hadj Ali montre un intérêt certain pour la question nationale en adhérant aux scouts musulmans. En 1954, il rallie le Parti communiste algérien où, très vite, il gravit les échelons, pour devenir, en 1954, l'un des dirigeants du parti. Après le déclenchement de la guerre de Libération nationale, il organise, avec Saddek Hadjess, « les combattants de la liberté », et mena les pourparlers avec le FLN. Après le coup d'Etat de 1965, il crée, avec Hocine Zehouane, l'organisation de la résistance populaire. Mais quelques mois après, il est arrêté et torturé. Il écrit L'arbitraire, qui est publié en 1966 aux éditions de Minuit. Lucette Hadj Ali confie que le manuscrit a été écrit à partir de la centrale de Lambèse sur du papier hygiénique. Le texte a été enfilé dans du papier à cigarette que Bachir remettait soigneusement à chacune des visites de sa femme. Bachir Hadj Ali a passé plusieurs années de prison et de résidence surveillée jusqu'en 1970. Lucette affirme que dans le livre L'arbitraire, ce sont toutes les tortures subies qui y sont décrites et l'état d'esprit dans lequel il se trouvait. Elle livre un témoignage accablant. Le militant a été torturé de la manière suivante : ses tortionnaires lui ont mis un bidon métallique - avec à l'intérieur des baguettes - sur la tête. « Au bout d'un moment, il avait l'impression que c'était son cerveau qui était trituré avec ses baguettes. Pendant des années, il a eu des vertiges. Je me demande si sa maladie n'était pas en relation avec ce châtiment. Je suis sûre qu'on voulait à tout prix lui démolir son cerveau. » Quand il reprend sa liberté, il mènera une activité très intense, donne des conférences, écrit des essais. La maladie interrompt soudainement les élans de cet infatigable et le clou au lit pour plusieurs années. Il décédera le 8 mai 1991. Cette rencontre a permis, d'une part, de lever le voile sur son ouvrage, connu jusqu'ici uniquement par les militants démocrates, et d'autre part, de parler des communistes, car, comme a tenu à le souligner l'animatrice, « l'histoire les dénigre ».