Non, je ne voterai pas et je ne pardonnerai pas », martèle Mme Zennoune, mère d'Amel, une étudiante de 22 ans, assassinée froidement par les terroristes alors qu'elle rentrait de la faculté de droit, le 26 janvier 1997. Neuf ans se sont écoulés après ce crime sauvage, commis par les GIA, à une heure de la rupture du f'tour, à Haouch Boudoumi, à mi-chemin entre Bentalha et Sidi Moussa. « Je traîne aujourd'hui avec une insuffisance cardiaque et un statut de veuve, car le papa, durement affecté par la disparition de sa fille, s'en est allé, 6 ans après. Un infarctus du myocarde (crise cardiaque) a eu raison de lui », raconte celle qu'on appelle khalti Houria. Un moment de silence, puis elle reprend : « Ce jour-là, Amel voulait nous (ses parents) faire la surprise. Résidant à Sidi Moussa où elle occupait une chambre universitaire, elle n'était pas encore rentrée chez nous depuis le début du Ramadhan, soit 17 jours. Amel voulait rompre avec la solitude qui régnait dans la cité universitaire, surtout qu'on était en plein Ramadhan. Sachant que je lui aurais interdit le déplacement, elle a jugé bon de ne pas annoncer sa venue. Malheureusement, les criminels étaient au rendez-vous. Ils l'ont égorgée comme un mouton. Pour rien. » Approchée, hier, alors qu'elle était au chevet de Nawel, sa fille aînée, qui vient de se faire opérer de la vésicule, khalti Houria dit « peser ses mots » lorsqu'elle exige vengeance. « Le président de la République ne cesse de recourir à l'Islam pour expliquer la charte. Moi aussi, je fais pareil. œil pour œil, dent pour dent. C'est la loi du talion qui devrait prévaloir. Les assassins de ma fille et de milliers d'autres Algériens devraient connaître le même sort. » Une sentence qu'elle dit assumer « même si dans la conjoncture électoraliste actuelle, elle ne plaît guère ». Quant à Mme Zinou, épouse de notre confrère du quotidien Liberté, assassiné par la horde terroriste, le 6 janvier 1995, « il est inconcevable de mettre, sur le même pied d'égalité, victimes et bourreaux ». « Zinou est mort dans mes bras, tout ensanglanté. Cette image restera gravée dans mon esprit. Indélébile. En même temps elle m'interpelle sur ce que sera demain. Devons-nous oublier, et dans ce cas asseoir une culture d'impunité ? Devons-nous enseigner aux générations futures que tuer et s'en sortir impuni est la seule solution pour instaurer la paix ? La charte n'apportera rien de concret dans la mesure où moi et d'autres victimes, nous subirons indubitablement l'arrogance de ceux qu'on désigne de repentis », tranche celle qui a été veuve à 28 ans. Infirmière spécialisée en soins intensifs au CHU Mustapha, Keltoum Zinou, nous raconte « sa » gêne d'avoir pour patient un repenti. « Il s'agit d'un ex-terroriste qui a contracté une insuffisance rénale chronique. Il vient régulièrement dans mon service pour des séances d'hémodialyse. Sans lui vouloir du mal, je ne peux m'empêcher de dire que sa présence me rend malade. C'est plus fort que moi. » Et la charte ? « J'y aurais peut-être souscrit si les terroristes avaient au moins la décence de nous demander pardon. » Autre parent de victime du terrorisme, Amina Kouidri dit « non » à la charte. Comme Mmes Zennoune et Zinou, cette rebelle du triangle de la mort (Larbaâ, Bougara et Sidi Moussa) - elle avait organisé, le 8 mars 1997, une marche à Larbaâ qui a avait réuni 300 femmes victimes du terrorisme - avait perdu sa jeune sœur, Nour El Houda, 12 ans, égorgée par les terroristes. « Traînée hors de sa classe de force de l'école Rahmouni à Larbaâ, elle a été jetée pendant 3 jours sur la voie publique. Personne n'osait l'emmener à l'hôpital. Deux de ses bourreaux sont toujours en vie. Ils se sont reconvertis dans les affaires », témoigne-t-elle. Pourquoi est-elle contre la charte ? « Avec tous mes respects au président de la République, je ne peux, hélas, souscrire au projet présidentiel. J'aurais aimé qu'il nous consulte, recueille notre avis, je veux parler des vraies victimes, pas des opportunistes, avant de proposer cette charte. Je suis pour la paix, mais pas de cette manière. »