Les familles victimes du terrorisme affiliées à l'association Djazaïrouna, réunies hier au siège de l'association pour déterminer en commun leur démarche le jour du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, ont décidé de se déplacer vers le carré des martyrs du cimetière du 13 Mai à Blida et de se recueillir sur les tombes des membres de leurs familles assassinés. D'autres, qui ont des proches disparus, ont proposé d'ériger une stèle à l'intérieur du cimetière où ils pourront à l'avenir se rappeler celles et ceux qui n'ont pu donner signe de vie et dont le statut de disparu n'est pas reconnu. Mme Bekkar se retrouve seule avec ses deux enfants depuis onze années : « Je n'ai aucun droit et j'occupe un logement illicite duquel je suis menacée d'expulsion. Comment pardonner ? » Une autre veuve a vu l'un de ses fils, son époux et son beau-frère assassinés parce que son fils aîné a accompli son service national. « J'ai neuf enfants et personne ne travaille ; venue de Aïn Dahlia, dans la wilaya de Médéa d'où j'ai fui avec mes enfants, j'ai acheté avec les 50 millions donnés à l'époque une maison à la cité Benachour et je souffre quotidiennement du manque de ressources. Comment pardonner et aller voter ? », dira-t-elle. Mme Hirèche, épouse du défunt Metidji Abderrahmane, ex-garde communal à El Affroun, a déclaré habiter une maison en toub dans la ferme n°20 à Mouzaïa. « Avec deux enfants, je perçois la moitié de son salaire parce que l'autre moitié est perçue par sa mère. On m'inscrit sur une liste de bénéficiaires de logement puis on retire mon nom pour en mettre un autre », a-t-elle dit. La suite des doléances ou des arguments pour expliquer leur refus de cette charte devenait un rappel de violents souvenirs imposant des silences où seules les larmes dénotaient le deuil profond. Mme Khellafi a vu 22 membres de sa famille assassinés à Chlef parce que son mari était garde communal à Hay Driouèche, à Bou Arfa. « Une fille de trois ans a été plongée dans une eau bouillante et plusieurs personnes ont eu leurs corps démembrés. » Habitant avec ses huit enfants dans le même centre, elle ne bénéficie toujours pas de logement ; elle dira : « C'est la moindre des choses si l'on recherche notre pardon ! Une seule femme a bénéficié d'un F2 parce qu'elle passait ses journées sur la route avec ses enfants et ses affaires ». Cette dernière se rapprocha d'ailleurs pour témoigner et crier son ras-le-bol. « Est-il normal que je ne bénéficie que d'un F2, moi qui ai perdu un fils pour cet Etat. On me fait payer 2340 DA de loyer ! C'est une honte ! 6000 DA puis 10 000 DA après des revendications, c'est l'indemnisation mensuelle que je perçois et on me demande de pardonner », dira-t-elle. La vieille Bensalem de oued El Alleug ne perçoit plus d'indemnités. « Au service de comptabilité de la wilaya, on m'a déclaré que c'est Bouteflika qui a enlevé cette mesure et on m'a versé seize millions comme dû restant de la pension. Mon fils qui a servi dans les rangs des commandos m'a été enlevé des bras trois mois après la fin de son service national en 1995. Donnez-moi un logement ailleurs pour m'éloigner de l'endroit où j'ai vu le sang de mon fils couler comme celui d'un mouton ! » Elle ne pouvait plus continuer, et au tour d'une autre femme de crier qu'elle était contre la marginalisation et contre l'oubli. « Mon mari a été enlevé sur la route de Chréa le 13 mai 1995 et m'a laissée avec trois enfants dont le plus petit était âgé de trois mois seulement, il a dix ans aujourd'hui. J'occupe une chambre chez mes beaux-parents, et depuis le dépôt d'un dossier en 2000, je n'ai rien obtenu. On veut me faire oublier qu'il a été enlevé et je lutte pour la reconnaissance du statut de disparu. » Mme Zahal, épouse du premier officier tombé sous les balles du terrorisme le 27 septembre 1992, déclarera : « On n'a pas pris les armes pour que l'Etat nous propose la paix ! Il aurait fallu que nous partions en guerre nous aussi. On n'a pas à nous imposer quelque chose qu'on refuse et nous n'irons pas voter le 29 septembre. C'est un jour de deuil pour nous ! ». Elle insistera encore : « Non à la réconciliation ! », et poursuivra en rappelant qu'elle n'a pas eu droit à l'assistance psychologique.