L'ère des conteneursFavorisé par un contexte sécuritaire des plus difficiles, le créneau de « l'import-import » a commencé à prospérer en Algérie dès le début de la décennie 1990, au moment où le pays était confronté à un grave phénomène de terrorisme. Une période noire qui a également vu s'accélérer la propagation des activités commerciales informelles en conséquence à une ouverture à l'international mal préparée de notre économie.Le poids des influences politiques aidant, nombres d'opérateurs ont su, en ces difficiles circonstances, tirer avantage du contexte d'ouverture brusque de l'économie nationale et de la libéralisation accélérée du commerce extérieur. Avec la consécration de la convertibilité commerciale du dinar en 1994, les sociétés d'import-export ont ainsi commencé à connaître une prolifération phénoménale. En 1995, l'on dénombrait déjà plus de 500 sociétés privées spécialisées dans le commerce international, c'est-à-dire essentiellement dans l'importation. Des créneaux comme l'agroalimentaire, l'électroménager, le ciment, le fer, le bois, la quincaillerie, les pièces de rechange et autres s'offraient aux importateurs comme autant d'opportunités nouvelles, leur permettant de brasser d'immenses capitaux. Aussi, dès 1997, la sphère commerciale locale comptabilisait pas moins de 7000 sociétés qui se partageaient le marché du commerce extérieur hors-hydrocarbures. Bon nombre de ces sociétés avaient été créées par des détenteurs de capitaux en quête de placements à gains rapides, soient généralement d'anciens « trabendistes » captivés par les circuits juteux du commerce extérieur. D'anciens cadres du secteur public se sont également fait une place sur ce nouveau marché qui leur offrait un filon discret pour faire de bonnes affaires. Le plus souvent, l'activité de tous ces importateurs prenait l'allure d'une véritable boulimie d'achat, sans planification aucune et sans réels intérêts pour la relance économique et l'investissement productif. En 1998, les statistiques des services douaniers faisaient ainsi ressortir que quelque 85 000 conteneurs ont atterri sur le sol algérien. Pour le seul premier semestre de 1999, la même source faisait état de l'admission de quelque 23 700 conteneurs. Expansion de l'informel Dans un tel contexte, le marché algérien s'est retrouvé transformé en un grand déversoir pour toutes sortes de marchandises importées de divers pays par des intermédiaires de tous bords, dont certains représentaient des sociétés fictives et spécialistes de la contrefaçon. Des produits contrefaits ou de qualité médiocre en provenance notamment de pays asiatiques comme la Chine et Taïwan étaient ainsi acheminés vers le marché local et servaient à alimenter les circuits lucratifs de l'économie souterraine. Dans son rapport de conjoncture élaboré en 2003, le Conseil national économique et social (CNES) souligne à cet égard qu'à partir de 1990 le problème de sécurité et la levée du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur ont beaucoup contribué à l'accélération de l'expansion du marché informel. Selon une évaluation officielle reprise par la même institution, quelque 1600 marchés illégaux ont été recensés par le ministère du Commerce et la sphère informelle représente actuellement entre 30% et 40% de l'activité commerciale nationale. La prolifération des intervenants dans le créneau de l'import-export durant la décennie écoulée a grandement favorisé l'expansion du marché parallèle et du commerce des produits contrefaits, dont plus de 40% proviennent de l'importation. Les instruments et les mécanismes de régulation du marché faisant cruellement défaut, certains segments du commerce extérieur sont vite devenus le lieu privilégié des activités informelles prédatrices relevant d'une économie de non-droit. Aussi, sur les 40 000 importateurs que compte actuellement le marché algérien, beaucoup exercent sous des prête-noms, avec de fausses adresses commerciales ou avec des registres de commerce loués ou carrément faux. Bon nombre de sociétés d'import-export pratiquent des comptabilités parallèles en déclarant de faux chiffres d'affaires pour échapper au fisc. Brassant des mannes pécuniaires colossales, le marché de « l'import-import » ne pouvait rester en ces circonstances à l'abri des pratiques de corruption et de trafic d'influence. Au sein même des instances censées assurer une mission de contrôle et de régulation, l'on reconnaît qu'à travers un système fiscal et judiciaire peu approprié, l'on encourage carrément la corruption, car le simple fait de mettre face-à-face au niveau du port un gros importateur à dizaines de milliards et un contrôleur percevant un petit salaire est révélateur, à lui seul, de la vraie réalité du terrain.