Le prix Nobel de la paix 2005 a été attribué hier à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et à son directeur général, l'Egyptien Mohamed El Baradei. La nouvelle fut diversement appréciée dans le monde. Les premiers à se féliciter de ce choix sont curieusement les grandes puissances nucléaires ainsi que, bien évidemment, Israël qui n'a pas laissé passer cette opportunité pour pointer un doigt accusateur vers l'Iran, désignée comme la prochaine cible à abattre pour l'Aiea. Paris, Londres, Washington, Berlin ont, dans un geste unanime, salué les efforts déployés par l'AiEA et son directeur général pour bâtir un monde dénucléarisé. Le paradoxe, c'est que ces puissances nucléaires sont exonérées par l'AIEA des missions de contrôle de leurs sites nucléaires, et ce, au motif que leur potentiel nucléaire est dûment établi. Autrement dit, ils n'ont rien à cacher qui puisse susciter la légitime suspicion de l'AIEA. La distinction de M. El Baradei a été en revanche accueillie avec une moue dubitative, pour ne pas dire franchement hostile, par d'autres milieux qui n'ont pas hésité à voir dans cette consécration l'empreinte des Américains. El Baradei, que l'on avait présenté comme un diplomate pur et dur - celui-ci a osé damé le pion à Bush dans l'affaire de la guerre contre l'Irak en soutenant que Baghdad ne disposait pas d'armes de destruction massive contrairement aux allégations américaines -, vient d'entrer au panthéon de l'histoire des architectes de la paix mondiale, grâce, paradoxalement, aux Américains. El Baradei est-il l'homme de l'ombre des Américains ? L'AIEA, à la tête de laquelle il a été porté pour un troisième mandat, n'a jamais gêné ni compromis les projets américains. Cela s'est vérifié une fois de plus avec la décision de Bush de frapper l'Irak en dépit des réserves de l'agence sur le potentiel nucléaire supposé de Baghdad ou encore avec le laxisme dont fait preuve cette agence concernant le nucléaire israélien avec la bénédiction de Washington. L'indépendance proclamée de l'Aiea est malheureusement démentie par l'actualité internationale et la politique de deux poids, deux mesures par laquelle s'est distinguée l'agence dans le traitement des dossiers brûlants liés au nucléaire, principalement iranien et nord-coréen. Il est à craindre que cette distinction n'enlève à El Baradei le seul privilège qu'il a exercé jusqu'ici face aux Américains, celui de dire « non » sans jamais avoir pu se donner les moyens d'une véritable politique de refus et de rejet de l'ordre nucléaire et international établi.