Encore une fois, l'attribution du prix Nobel de la paix ne fait pas l'unanimité. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui en est l'attributaire, n'a eu que quelques mots pour dire sa gratitude pour un geste qui vaut selon elle toutes les reconnaissances et sûrement la meilleure d'entre toutes. Mais celle-ci est-elle désintéressée ? A priori seulement, elle est de celles qui consacrent le mérite, et dans le cas précis, celui de l'AIEA, des réserves seront apportées, et fort justement, sur ce qui est encore et toujours un traitement au cas par cas, aussi longtemps que sera ignoré ou occulté l'arsenal nucléaire israélien. Tout le reste, dira-t-on alors, est et sera le résultat d'un rapport de force. On le constate avec beaucoup de regrets, mais aussi d'inquiétudes dans la gestion des relations internationales. Ou encore par les opposants au nucléaire qui dénoncent ce geste avec virulence, parce que pour eux, un tel dossier n'a pas à exister. Le même prix a été attribué également à son directeur, l'Egyptien Mohamed El Baradei, attaqué de toutes parts, mais fermement défendu par la diplomatie. El Baradei a pratiquement obtenu un deuxième mandat pratiquement sans vote, parce qu'il n'y avait pas d'adversaire. Ou encore, les pays membres lui ont laissé le champ libre, comme pour désavouer ses détracteurs. Et l'AIEA avait hier toutes les raisons de se déclarer « très fière » d'être, avec son directeur général Mohamed El Baradei, lauréate du prix Nobel de la paix 2005. Une de ses porte-parole a affirmé que « nous sommes aujourd'hui une agence très fière et plus fière encore de notre directeur Mohamed El Baradei ». Le choix était peut-être difficile, mais il était fortement symbolique en cette année du soixantième anniversaire du bombardement de Hiroshima et de Nagasaki, puisque le comité Nobel entend récompenser une institution et un homme pour leur travail contre la prolifération des armes nucléaires. L'agence de l'Onu spécialisée dans la promotion de l'énergie nucléaire civile et son directeur général sont récompensés « pour leurs efforts visant à empêcher que l'énergie nucléaire soit utilisée à des fins militaires », a dit Ole Danbolt Mjoes, le président du comité Nobel, en motivant le choix opéré parmi les 199 candidats en lice cette année. « A une époque où la menace des armes nucléaires s'accroît une fois encore, le comité Nobel norvégien souhaite souligner le fait que cette menace doit être traitée via une coopération internationale la plus large possible », a précisé M. Danbolt Mjoes. La distinction de l'AIEA et de M. El Baradei intervient alors que la communauté internationale peine à convaincre l'Iran et la Corée du Nord de renoncer à leurs programmes nucléaires. Ce faisant, le comité Nobel perpétue une tradition non écrite depuis 20 ans, qui consiste à récompenser des organisations ou des individus opposés à l'arme nucléaire lors de chaque grand anniversaire des premiers - et uniques à cette heure - bombardements atomiques de l'histoire, qui avaient fait plus de 210 000 morts sur le coup. En 1995, le prix était allé au mouvement antinucléaire Pugwash et à son fondateur Joseph Rotblat et, en 1985, à l'Internationale des médecins contre la guerre nucléaire. « Le fait que le monde ait très peu progressé en la matière rend une opposition active à l'arme nucléaire encore plus importante aujourd'hui », a précisé Danbolt Mjoes. Fondée en 1957 et basée à Vienne, l'AIEA a joué un rôle majeur dans les mois précédant l'intervention militaire américano-britannique contre l'Irak de Saddam Hussein en 2003. Au grand dam des Etats-Unis convaincus du contraire, l'organisation estimait alors que l'Irak ne disposait pas d'armes de destruction massive, un jugement désormais généralement admis comme correct. « L'indépendance et l'impartialité continueront de guider mon travail », a déclaré M. El Baradei le mois dernier, en prêtant serment lors du renouvellement de son mandat. « Les défis auxquels nous devons faire face ne peuvent être relevés que par une approche collective », a ajouté l'Egyptien de 63 ans. Outre des négociations délicates avec l'Iran et la Corée du Nord, les mois passés ont vu l'échec d'une conférence sur la revitalisation du Traité de non-prolifération (TNP) en mai et l'incapacité de la communauté internationale à s'entendre sur ce sujet lors du sommet de l'Onu en septembre. El Baradei a aussi le mérite de soulever les questions que d'autres refusent d'envisager malgré ce qui reste une évidence. Et dans le cas présent, il s'agit de l'arsenal nucléaire israélien bien réel mais qui n'existe dans aucun registre, parce que c'est tout simplement Israël. Bien entendu, El Baradei n'a pas obtenu les réponses qu'il n'attendait pas à vrai dire. C'est le black-out sans que cela émeuve outre mesure ceux qui mènent campagne contre d'autres pays, certainement des puissances nucléaires potentielles, mais rien d'autre comme il y en a à travers l'ensemble de la planète.