Skandrani, l'enfant de La Casbah qui l'a vu naître, est parti hier pour rejoindre sa dernière demeure. Après une longue maladie, celui qui fut, et restera, le grand pianiste devant l'Eternel, a fait ses adieux en traversant son Alger de bout en bout. De Bologhine où il résidait depuis assez longtemps, au cimetière de Sidi M'hamed où il repose en paix, Mustapha Skandrani a passé en revue plus d'un demi-siècle au service de la musique. Le pianiste, le compositeur, le footballeur, le monument de la musique algérienne est parti à l'âge de 85 ans non sans laisser derrière lui une grande page d'histoire qui le lie à l'art auquel il a tant donné. Skandrani a tellement donné à la musique qu'il était inimaginable de voir un orchestre chaâbi ou andalou sans que les doigts magnifiques de ce chef d'orchestre viennent donner ce plus rythmique aux chansons. Son visage, qui ne change que rarement de ton, deviendra une image habituelle qui impose le sérieux, le travail et l'amour de la musique. Les orchestres qu'il mena à travers les années, dans et à l'extérieur du pays, resteront un modèle du genre tant la présence du maître était imposante, majestueuse, voire grandiose. De la guitare au piano en passant par la mandoline et la kouitra, Skandrani deviendra, tout au long des années, un symbole qui saura, des décennies durant, mener des groupes musicaux grâce à un doigté qui donnera une touche plus romantique à l'andalou et plus vivace au chaâbi. Il accompagnera les grandes stars de la chanson algérienne. El Anka, Guerrouabi, El Ankis, Fakhardji, Fadéla Dziria et beaucoup d'autres ont goûté l'œuvre de ce chef d'orchestre de grand talent. Skandrani n'hésitera pas non plus à diriger les jeunes pour leur donner le coup de pouce nécessaire pour réussir la partition. Aujourd'hui, beaucoup de musiciens, de chanteurs et d'artistes s'en souviennent. Ils se souviennent de Skandrani comme un artiste complet qui a vécu pour et par la musique, d'un artiste qui donnait cette impression d'un homme renfermé alors qu'il avait un grand cœur plein de générosité. Ceux qui l'ont côtoyé de plus près peuvent témoigner de ce personnage qui n'a jamais eu de mépris pour autrui, qui se dépensait pour les stars et pour les jeunes, qu'il dispensait avec jalousie son savoir aux autres, qu'il encourageait, qu'il entourait tous ceux qui avaient comme objectif la sauvegarde d'une musique chaâbi confrontée, faut-il le dire, aux aléas et aux humeurs des tenants de décisions qui, en plusieurs endroits et en plusieurs moments, ont relégué la culture et tout ce qui va avec à leur plus simple expression. Les dégâts ne se sont pas fait attendre et bon nombre de nos artistes ont dû ranger leurs aspirations. L'histoire retiendra cette parenthèse. Skandrani est né le 17 novembre 1920 à La Casbah d'Alger. Il ne pouvait donc échapper à ce destin de tous les enfants de La Casbah, à savoir le chaâbi et le Mouloudia d'Alger. C'est ainsi que dès son jeune âge, il s'intéresse à la musique, le chaâbi bien évidemment, mais aussi au football. Ses oncles étant des membres fondateurs du glorieux Mouloudia d'Alger, il signe une licence au sein de ce club, mais ce sont plutôt les instruments de musique qui intéressaient le plus Mustapha Skandrani. Il grattera alors de la guitare, il jouera de la mandoline, de la kouitra, bref tout ce qui pouvait le rapprocher du monde de la musique était le bienvenu. Mustapha Skandrani fera partie de plusieurs orchestres pour animer des soirées au Padovani (aujourd'hui Kettani), au music hall d'Alger, à l'Opéra d'Alger, des soirées familiales. Au fur et à mesure, Mustapha se familiarisera avec les instruments de musique, mais sa passion était le piano, soit un instrument très peu utilisé dans les orchestres algérois. Skandrani l'imposera pour en faire un incontournable instrument auquel beaucoup d'autres jeunes sont venus s'initier. Des pianistes, il y en a eu beaucoup, mais l'histoire de la musique algérienne retiendra que le piano appartient à Mustapha Skandrani.