C'est la fin de parcours de l'un des monuments de la musique algérienne. Mustapha Skandrani est décédé, hier, à son domicile à Alger. La maladie qui l'a mis au lit depuis plusieurs années a eu, au bout du compte, raison de lui. C'est la fin de parcours de l'un des monuments de la musique algérienne. Son retrait de la scène aussi regrettable qu'il ait été, est survenu depuis déjà quelques années. C'était lors d'un hommage - le seul - qui lui a été rendu en 1995 à Tlemcen auquel ont pris part les plus grands noms de la scène musicale. D'où également la seule émission télévisée qui lui a été consacrée par Abdelkader Bendaâmache, journaliste écrivain spécialiste du patrimoine musical. Au côté de Mohamed El Basri, Skandrani, dans un franc-parler implacable, s'était alors exprimé sur l'actualité de la scène comme il s'était permis, au grand bonheur de ses fans, de glisser quelques détails croustillants sur sa carrière d'artiste. Résumer la vie de celui qui a, dans les années quarante, introduit le piano dans la musique classique en Algérie n'est pas un exercice facile, y compris pour les professionnels de la plume. Des pages et des pages ne suffiront peut-être pas à raconter une vie intense et couronnée de succès. Car on ne peut parler de musique andalouse, chaâbie ou même moderne sans évoquer ce pianiste virtuose qui fut depuis la fin des années trente de toutes les initiatives musicales. Jeune footballeur portant le numéro 7 du mythique Mouloudia d'Alger, Mustapha Skandrani entame ses petits et grands pas dans la musique avec la création de l'association El Mizhar Al Djazaïri, en 1936 aux côtés d'autres monuments de la culture algérienne, citons volontiers, Rachid Ksentini, Hadj M'rizek, Mahieddine Bachtarzi. Parallèlement aussi à un brillant parcours instructif- il était titulaire d'un brevet élémentaire- le jeune pianiste fait montre d'un talent avéré et gravit sans trop tarder les échelons du succès au point que sa personne est devenue quasi incontournable. En 1946, il crée et prend les rênes de l'orchestre moderne de la Radio. Une troupe avec laquelle il a accompagné les plus grandes figures artistiques de l'époque qui ont pour nom Salim Hallali, Reinette Daoud, Hadj M'hamed El Anka et bien d'autres. Entre 1960 et 1985, il est de nouveau aux commandes mais cette fois-ci de l'orchestre de la Radio et télévision algérienne (RTA). Outre de diriger l'orchestre, le pianiste virtuose s'implique davantage dans la formation des jeunes musiciens. Il est de facto enseignant de musique andalouse au conservatoire d'Alger et sous sa houlette plusieurs jeunes artistes ont commencé à faire leurs petits pas dont El Hadi El Anka, Nasser Eddine Chaouli... Pas seulement, Skandrani a aussi apporté son talent au service de la musique chaâbie, notamment avec Boujdemaâ Fergane, le violoniste Abdelhani Belkaïd, Mohamed dit Moh Tailleur banjoïste hors pair , du percussionniste Ali Debbah dit Alilou, l'un des piliers de la troupe que dirigeait le maître de la chanson chaâbie El Hadj M'hamed El Anka. Il a également accompagné les actuels hérauts de cette musique que sont El Hachemi Guerouabi, Amar Ezzahi, Boudjemaâ El Ankis pour ne citer que ces trois artistes ou encore Nora et Saloua, deux superbes voix de la chanson moderne et andalouse algérienne. Sobre, réservé, effacé, l'homme, contrairement à beaucoup d'artistes de son époque, ne cultivait aucun intérêt pour les feux de la rampe. Le succès ne lui est jamais monté à la tête en dépit de ses innombrables diplômes, trophées et autres titres de succès. Sa disparition aussi attendue soit-elle, marque aussi la fin d'une génération d'artistes qui se sont donné corps et âme pour la promotion de la musique du patrimoine. Il y a quelques années, c'était au maître du cithare Boudjemaâ Fergane de tirer définitivement sa révérence. Orpheline, la scène musicale nationale qui va d'une crise à une autre, n'a fait ces dernières années que compter ses morts alors que les rangs des grands musiciens s'amenuisent. Mustapha Skandrani est sans conteste l'un d'entre eux. Et il le sera pour toujours. Pour l'éternité. Repose en paix Mustapha.