Le but de cet article n'est pas de fournir de connaissances approfondies et avancées sur l'audit juridique, ce qui exigerait un plus de temps, un séminaire spécialisé et un auditoire suffisamment initié aux connaissances complexes du droit. Notre humble ambition est de donner une idée ne serait-ce que superficielle sur ce qu'est l'audit juridique encore inconnu ou insuffisamment connu d'une part et qui demeure marginalisé où plutôt inexistant d'autre part, et l'un explique l'autre. Notre arrière-pensée, notre objectif à travers cela est de sensibiliser les lecteurs, les managers, les décideurs, à l'importance de cette fonction, aux pertes considérables que son absence ou son ignorance occasionnent ou risquent d'occasionner de façon directe ou indirecte. On perd beaucoup parce que quelque part on a mal connu ou méconnu une règle de droit. La lecture quotidienne des annonces publicitaires, offres d'emploi et postes à pourvoir au sein des entreprises donne l'occasion de recenser des besoins fréquents en audit financier et comptable, mais on ne rencontre qu'exceptionnellement des propositions de recrutement en audit juridique. Pour ma part, je ne me souviens qu'une fois avoir vu une entreprise rechercher un auditeur juridique. Ceci démontre le rôle secondaire et le souci mineur des managers et directeurs d'entreprises à la conformité de leur situation ou de leur gestion juridique aux normes légales. Cette situation malheureuse, tolérable par le passé qui l'autorise, risque dans le temps de causer énormément de préjudices. Les raisons d'une marginalisation La première raison est d'ordre culturel ; c'est toute la place qu'occupe le droit dans les rapports sociaux et économiques dans notre pays et dans notre société infrajuridique. Le droit et la légalité des comportements et des situations ne sont qu'une préoccupation secondaire dans notre système socioéconomique . Par ailleurs, et dans le même ordre d'idées, l'organisation économique révolue fondée sur l'appartenance des entreprises au même secteur public, de même que l'absence de sanctions économiques (la faillite par exemple) et de sanctions tout court suite aux défaillances en toutes genres, ont engendré une tolérance des uns et des autres sur les irrégularités commises. Ainsi, il n'y avait pas dans les rapports des entreprises publiques un jeu pur des règles de droit. Par ailleurs, l'entreprise publique et ses responsables étaient assurés de certaines garanties et protections qui engendraient certaines libertés vis-à-vis de la loi. En plus du fait que l'entreprise était à l'abri de la faillite, le système de désignation et des mises aux fins de fonctions des directeurs ainsi que l'absence de responsabilité personnelle faisaient que les pertes enregistrées pour défaut d'observation des règles juridiques ne pouvait avoir d'effets notables. Des facteurs socio-culturels ont relégué la fonction juridique, d'une part, et celle de l'audit juridique, d'autre part, en conséquence, dans un statut marginal. Il faut aussi signaler au passage que cette situation n'est pas propre à notre pays. Une étude réalisée en France en 1985 a fait ressortir que le « juridique » est une préoccupation mineure des managers. Cette situation aux effets contrôlables et admissibles par le passé va être néfaste si elle perdurait. Les entreprise publiques sont maintenant soumises au droit commercial et donc au risque de faillite, et les erreurs juridiques causent souvent des pertes financières énormes. Les directeurs ou gérants des entreprises seront responsables devant une structure réellement impliquée et intéressée par les résultats et la situation de son entité économique qui risque de disparaître. En outre, certaines irrégularités engagent directement la responsabilité personnelle du manager. Nous allons voir à travers certains exemples réels comment des irrégularités juridiques ont causé des dépenses inutiles évitables à des entreprises. X Une entreprise en difficulté économique a été obligée de recourir à une compression d'effectif. Ce qui fut fait, mais en dehors des règles procédurales. Il a été facile au personnel compressé d'obtenir de la justice une annulation du licenciement collectif, la réintégration des travailleurs licenciés et le paiement de tous les salaires depuis le licenciement jusqu'à la réintégration. Les sommes furent colossales et des pertes énormes. L'entreprise ne disposait pas d'un juriste et encore moins d'un auditeur pour suivre la régularité de l'opération. X Une entreprise de construction fonctionnait avec un personnel à durée déterminée, elle renouvellera les contrats un certain nombre de fois de telle façon que ces contrats se transformèrent en vertu de la loi en contrats à durée indéterminée. La rupture de ces contrats ouvrira donc pour les travailleurs droit aux réparations et indemnités. La gestion du personnel n'avait pas été convenablement assurée ni encore moins convenablement auditée sur le plan juridique. Lors d'une déclaration fiscale, une entreprise privée avait payé des impôts dont elle était dispensée en dinars et en devises, et ce, en plus de l'impact négatif sur la réputation et la crédibilité. Les buts d'une mission d'audit L'audit doit établir si la situation juridique de l'entreprise et son activité sont régulières et légales, c'est-à-dire conformes à la loi et efficaces et optimales c'est-à- dire qui garantissent ou assurent la plus grande rentabilité et bénéfices. La régularité : il s'agit d'établir à titre d'exemple si les contrats passés par l'entreprise avec les tiers sont légaux et réglementaires. Par exemple s'il ne risquent pas une annulation. Cas concret : a-t-on signé un contrat de location d'un immeuble avec le propriétaire lui-même ou avec une personnel dûment habilitée par le ou les propriétaires ? Dans le cas d'un contrat d'assurance volumineux et complexe, il faut éviter d'avoir un bien non assuré, c'est-à-dire non couvert par une assurance parce qu'on avait supposé à tort qu'il l'était par telle ou telle autre. Tel est le cas des équipements informatiques qui sont couverts par une assurance spécifique. Il faut aussi éviter d'avoir un équipement assuré deux fois, c'est-à-dire couvert inutilement par deux assurances en même temps. L'efficacité Exemple : a-t-on opté pour la forme de société la plus ou la mieux adaptée aux besoins de l'activité envisagée ? Dans les statuts n'a-t-on pas alourdi les procédures de prise de décision, tel le cas de figure où se trouvent confiées des attributions et les tâches qui exigent une célérité, à un organe qui ne se réunit qu'à intervalles éloignées. Dans le cadre du partenariat n'a-t-on pas confié au partenaire étranger, ou même national, la possibilité de bloquer des décisions, donc permettre un éventuel abus des positions dominantes. Les différents types d'audit Ce découpage est conçu à partir de différents aspects de l'activité juridique de l'entreprise. L'audit de constitution : La régularité : n'y a-t-il pas eu l'omission d'une formalité qui risque de retarder ou de bloquer la création de la société. L'efficacité : a-t-on opté pour la forme la plus adéquate à l'activité ; ouverture des possibilités de financement externes si les besoins sont importants (société par action au lieu d'une SARL). L'audit de fonctionnement : Vérifier la validité et la régularité en la forme des décisions prises et des actions menées ; exemple : le directeur général n'a-t-il pas pris des décisions qui sont du ressort du conseil de direction et ainsi se trouveraient exposées à l'annulation ? L'activité de l'entreprise se trouverait ainsi compromise. L'audit des contrats : Régularité : critique des contrats commerciaux, n'a-t-on pas inclus des clauses nulles qui risquent d'annuler les contrats en tout ou en partie, cas des clauses annulables par le cocontractant lui-même ou par un tiers. Efficacité : n'a-t-on pas accepté des clauses alors que la loi propose des alternatives plus favorables. Audit fiscal : Audit de la situation fiscale de l'entreprise, n'a-t-elle pas surdéclaré et ainsi enregistré une perte ? N'a-t-elle pas sous-déclaré et ainsi s'expose au redressement ? N'a t-elle pas fraudé et ainsi s'expose aux sanctions ? Audit social : (droit du travail) il faut signaler que c'est l'audit le plus développé parmi ceux sus-cités. L'entreprise a-t-elle tous les documents requis par la réglementation (règlement intérieur, convention collective, salaires, licenciements...) ? La situation et la gestion du personnel sont-elles légales ? Salaires, licenciements... nous avons vu plus haut les cas ou l'inobservation des lois à cause des pertes. Recommandations aux directeurs et managers Modalités pratiques A qui confier une mission d'audit ? Qui est l'auditeur juridique idéal ? La réponse varierait en fonction de l'aspect et l'activité juridique auditée Exemple de l'audit de constitution : l'option pour un type de société déterminé se fait en général sur l'orientation et la suggestion d'un notaire qui rédigera lui-même les statuts. L'audit sur ce point peut être fait en une double phase. La première, avant l'option et la détermination du type de société à adopter ; la seconde après la rédaction et avant la signature définitive des statuts. L'auditeur idéal peut être un autre notaire ou un autre expert interne ou externe à l'entreprise. L'audit de fonctionnement : les actes juridiques liés à l'activité d'une unité pourront être soumis à l'audit du service juridique de la direction générale, tandis que ceux de l'entreprise pourront être soumis à une expertise externe. Il faut signaler que parfois l'audit interne même par les cadres ou le service juridique de l'entreprise est préférable à une structure externe car les clauses des contrats ont parfois leurs petits secrets, c'est-à-dire que le négociateur peut accepter certaines clauses ou conditions pour des motivations discrètes confidentielles que le cocontractant peut ne pas comprendre et qu'un auditeur externe à l'entreprise ne peut pas percevoir comme il se devrait.