Le détenu portant le numéro d'écrou 135006, salle 7-A de la prison d'El Harrach, banlieue est d'Alger, est malade. « Mohamed Benchicou est un prisonnier qu'on ne veut pas soigner », assène Abdelkrim, le frère du directeur du Matin, incarcéré depuis le 14 juin 2004. « Je ne mets pas en cause la direction du pénitencier, mais nous sentons une volonté de le casser. Certains veulent que Mohamed soit physiquement démuni lorsqu'il sortira en juin 2006 », estime Abdelkrim. Benchicou est souffrant, en atteste le dossier médical déposé en appui à sa demande de liberté provisoire qui a été refusée en avril 2005. Son épouse, Fatiha, a indiqué que son mari ne bénéficie ni du traitement médical spécialisé, encore moins des séances de rééducation fonctionnelle nécessitées par son état de santé et réclamées en vain depuis 16 mois par sa famille, ses avocats et ses comités de soutien. Incarcéré à El Harrach fin septembre, Saâd Lounes, ancien directeur du journal El Ouma (suspendu en 1995), a relaté sa rencontre avec Benchicou dans un témoignage publié dans El Watan, La Dépêche de Kabylie et El Khabar. « Souffrant d'une arthrose cervicale, la partie droite de son corps est quasiment paralysée. Il reste la plupart du temps allongé et a beaucoup de mal à marcher et à s'habiller. Il ne peut pas écrire ni ouvrir une bouteille d'eau. Il ne se sert que de sa main gauche. Ses compagnons de cellule s'occupent constamment de lui pour l'assister dans la vie quotidienne et soulager ses douleurs par des massages. Choqué par les conditions de son dernier déplacement à l'hôpital digne des films d'action américains, entouré de plusieurs policiers, alors qu'il arrive à peine à marcher, il n'ose plus faire de demande d'hospitalisation. Il prend son mal en patience et attend sa sortie, au risque de succomber à une paralysie complète. Son état nécessite une opération chirurgicale pour dégager un nerf coincé entre deux vertèbres », lit-on dans ce témoignage. L'épouse de Benchicou a rappelé suite à la publication du témoignage que le seul « traitement spécialisé » qui a été accordé à son époux aura été la visite sur le site de la prison, en mai 2005, d'un neurochirurgien démuni de tout matériel médical d'exploration et une radiographie faite à l'hôpital de Ben Aknoun, le mois d'après, et dont les résultats n'ont pas été, à ce jour, communiqués à l'intéressé. « Malgré l'insistance du médecin de la prison et les demandes répétées de la famille, le détenu n'a été conduit à l'hôpital qu'une seule et unique fois alors que les autorités judiciaires l'ont conduit 29 fois au tribunal, l'obligeant, en dépit de ses souffrances physiques, à passer des journées entières dans les geôles situées au sous-sol du tribunal », a indiqué sa femme. Le parquet a démenti estimant que « le détenu concerné bénéficie d'une couverture médicale permanente depuis son incarcération ». « Je l'ai vu lundi dernier, c'est un type qui ne veut pas se laisser faire surtout qu'il reste persuadé qu'il est un détenu d'opinion. Son moral est au beau fixe, car il a également vu l'élan de solidarité nationale et internationale », dit son frère qui, avec des proches, lui rendent visite chaque lundi au parloir de la prison. Temps autorisé de la rencontre par vitre et interphone interposés : 15 à 20 minutes. « Quand on est plusieurs personnes, on prend deux minutes chacun », précise Abdelkrim qui ajoute que son frère est « très bien traité par les gardiens et les autres détenus et ce, depuis le premier jour ». « Car ils sont tous persuadés qu'il s'agit d'un détenu politique », appui Abdelkrim. Chaque lundi, la famille lui apporte le couffin. « Il n'a jamais été exigeant pour la bouffe. Et souvent il demande des choses pour les autres détenus, qui eux-mêmes lui offrent une partie de leurs couffins... A part durant le Ramadhan, il a demandé un peu de qtayef », dit Abdelkrim avec un sourire inquiet qu'il semble adresser au détenu 135006, son frère.