Au lendemain de sa sortie de la maison carcérale d'El Harrach, à l'issue d'une peine de deux années de prison, Mohamed Benchicou, journaliste et directeur du Matin (suspendu), est revenu sur nombre de questions d'actualité tout en témoignant des conditions de son incarcération. S'exprimant jeudi lors d'une rencontre-retrouvailles avec les journalistes au siège du Matin, à la maison de la presse Tahar Djaout à Alger, Mohamed Benchicou a d'emblée refusé d'être « l'arbre qui cache la forêt ». « Pendant mon incarcération, 7 journalistes ont été mis en prison et 23 autres risquent de les rejoindre à tout moment. C'est une offensive sans précédent contre la liberté de la presse. Depuis l'Indépendance, jamais une situation pareille ne s'est produite », tonne-t-il. Rappelant le contexte dans lequel il a été incarcéré, l'orateur au visage éprouvé affirme que la prison ne l'a nullement affecté ni diminué sa « détermination » à poursuivre le combat pour les libertés et la démocratie. « Les 24 mois que j'ai passé en prison n'ont pas eu un effet négatif sur ma personne », rassure-t-il comme pour dire que ses positions et ses convictions n'ont pas changé. « Le combat doit être quotidien. Il ne suffit pas de mettre un fait à la une d'un journal, mais il faut persévérer et continuer à dénoncer sans cesse toute atteinte aux libertés et aux droits de l'homme », martèle-t-il, avant d'enchaîner que « si l'offensive continue, il y aura d'autres journalistes qui iront en prison ». M. Benchicou estime que la stratégie du régime en place est d'éliminer les contre-pouvoirs. A commencer par la presse libre. A ce propos, Benchicou considère qu'il y a peu de journaux qui continuent à batailler pour les libertés. Il trouve que le passage sous silence de certaines condamnations de journalistes a fait qu'aujourd'hui le pouvoir passe la vitesse supérieure en jetant vulgairement en prison des syndicalistes et des professeurs universitaires pour avoir revendiqué leurs droits. M. Benchicou souligne ainsi que l'offensive du pouvoir est maintenant orientée contre toutes les libertés. A commencer par la liberté syndicale, de créer, d'entreprendre, de se rassembler, de revendiquer... Pour lui, il y a « une autocratie qui se dessine ». Devant cette situation, M. Benchicou note le manque de mobilisation des partis qui se disent démocratiques pour défendre ces acquis « menacés ». « Le bilan de ces partis, indique-t-il, n'est pas flatteur. » Revenant sur les conditions de son incarcération, Benchicou s'estime être « chanceux » d'avoir été « pris en charge » par ses codétenus. Sinon, dira-t-il, les autres prisonniers « vivent l'enfer ». « Il faut changer la manière de voir le milieu carcéral qu'on aborde jusque-là avec beaucoup de chimérisme et de caricature. Le milieu carcéral est d'abord le produit d'une justice aux ordres », atteste-t-il. Torture et maltraitance Il insiste sur le fait qu'il n'y a pas de prison qui forme en Algérie, mais plutôt des prisons où « subsistent encore la torture et la maltraitance ». Continuant sur sa lancée, M. Benchicou parlera de Adel, un jeune prisonnier de 13 ans qu'il a rencontré à la prison d'El Harrach. « Il est avec son père. Il a été condamné pour avoir essayé de protéger son père en tuant la personne avec laquelle il se bagarrait. Cela n'existe pas dans le monde », clame-t-il. Ainsi, pour lui, des enfants comme celui-ci ne peuvent être que de « futurs délinquants », car on ne leur apprend rien dans le milieu carcéral. Mohamed Benchicou indique, par ailleurs, avoir rencontré Ali Benhadj à la prison d'El Harrach. « Je l'ai rencontré 4 ou 5 fois. On a échangé quelques propos de courtoisie sans évoquer les sujets politiques », lâche-t-il avant de dénoncer les conditions « inhumaines » dans lesquelles avait été incarcéré le numéro 2 du FIS dissous. « Il était malade. On l'a donc isolé dans une cellule inhumaine. Sa situation m'a interpellé et je me suis fait son avocat auprès du Comité des croissants et Croix rouges qui m'a rendu visite lors de son séjour en Algérie », précise-t-il. M. Benchicou explique qu'« un prisonnier, quel que soit le motif de son incarcération, a le droit au minimum de respect et de dignité ». Même enfermé dans son cachot, Benchicou dit avoir toujours gardé l'oreille attentive à l'actualité nationale. Il considère ainsi la charte pour la paix et la réconciliation nationale comme « un coup de couteau dans le dos des Algériens ». « Les prisonniers l'ont vécue (la charte, ndlr) comme une double injustice. D'abord, cette initiative efface de manière frauduleuse 13 ans de lutte contre le terrorisme islamiste. Ensuite, les dispositions d'amnistie ne concernaient que les détenus islamistes », souligne-t-il. D'après lui, si Le Matin sortait pendant cette période, il aurait pris une position franche contre la réconciliation nationale. Justement, à propos de ce journal suspendu depuis le 23 juillet 2004, M. Benchicou ne se montre pas trop enthousiaste quant à son éventuel retour dans le paysage médiatique. « Il y a deux contraintes pour la reparution du Matin. La première est d'ordre financier qui est néanmoins surmontable. La deuxième est d'ordre politique. Elle ne dépend que de la seule volonté des autorités qui ont décidé de le suspendre. Même si l'on paie les dettes du journal, il n'est pas sûr de pouvoir le reprendre », soutient-il. Ainsi, M. Benchicou dit attendre un « signal » de la part des autorités pour la levée de cette contrainte. Cependant, il affirme que « si Le Matin doit reparaître un jour, ce sera avec les mêmes dispositions éditorialistes. Pas de concession à faire ».