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Sociologie politique et développement
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Publié dans El Watan le 20 - 09 - 2010

Cas après cas, l'analyse des expériences des réussites des pays émergents permet de situer les contours d'un pouvoir politique qui crée les conditions d'une croissance durable.
L'exigence d'une scène politique favorable au développement économique a été la particularité la plus caractéristique des nations à succès. Il est généralement admis qu'un pouvoir démocratique a plus de chances de créer les conditions de développement.
Mais le processus démocratique n'est ni une condition nécessaire ni suffisante. L'Inde a stagné durant de nombreuses décennies tout en étant démocratique. Mais certaines dictatures éclairées ont réussi à jeter les bases d'une croissance soutenue : Corée, Espagne, Chili et de nos jours la Chine. La sociologie politique est au cœur des systèmes de développement. Lorsqu'il y a un consensus politique pour créer une dynamique de croissance durable, l'organisation économique et les mécanismes à mettre en place deviennent une question technique dont la résolution est à la portée des experts. Mais les économistes ne sont pas armés pour créer cet état d'esprit, cette hiérarchisation de priorités ; bref, la superstructure politique qui rend le développement possible. Ils sont totalement désarmés pour réfléchir sur la question. Même les sciences politiques ne détiennent pas des clés de compréhension.
Conditions de développement
La théorie marxiste s'est disqualifiée en excluant toute possibilité de développement hors des choix d'économies centralement planifiées. Les économies de marché ne pouvaient déboucher que sur une dépendance de plus en plus accrue et une stagnation assurée. Mais alors que tous les pays en voie de développement qui ont choisi la piste socialiste avaient dérapés, les pays asiatiques et une poignée d'économies libérales ont réussi avec brio le test de la croissance soutenue.
Nous ne savons pas comment créer le consensus politique pour amorcer un développement soutenu mais nous savons ce qu'il convient de fonder pour réussir, c'est-à-dire, les priorités à établir en vue de consacrer le développement. Nous allons présenter les repères essentiels des réussites, tout en les adaptant au contexte de notre pays. En fait, pour porter le développement durable jusqu'à un point de non retour, il faut disposer d'une organisation adéquate de l'Etat, en plus d'assurer un certain nombre de conditions indispensables.
Nous sommes là au cœur de la question du développement. Il y a bien évidemment des tentatives d'incursion peu fructueuses dans ce débat. Les institutions internationales ont produit le concept de «bonne gouvernance». Ce thème est utile. Il évoque les caractéristiques essentielles qui doivent prévaloir au sein des institutions d'un pays pour promouvoir l'efficacité économique : transparence, responsabilité, participation, etc. Ces attributs ont toujours été recommandés par les tenants de l'approche gestionnaire du développement. Les deux disent aujourd'hui la même chose : le progrès économique est peu probable sans un management institutionnel de haut niveau.
Cette idée maîtresse est généralement acceptée comme évidente voire banale mais de nombreux pays continuent naïvement leur quête de bien-être sans corriger en profondeur leur mode de gouvernance. Ils vont se lancer alors dans des programmes d'endettement ou de dépenses publiques croyant compenser l'inefficacité par un volume plus important de financement ; mais le processus s'aggrave. Mais la véritable question à laquelle nous essayons vainement d'y répondre est la suivante : quels sont les facteurs qui permettent de créer un consensus pour mettre en œuvre des politiques de développement efficaces ? Par quels mécanismes les acteurs politiques arrivent-ils à créer les conditions matérielles et environnementales au processus de développement ? Qu'est-ce qui explique pourquoi le parti communiste chinois promulgue des lois et des outils qui améliorent l'environnement des affaires, développe le pays et les politiciens au Zimbabwe créent des lois et des mécanismes qui détruisent leur propre économie ?
Repères de développement
Nous n'avons pas de réponses claires à ces questions. La sociologie politique est en panne quant il s'agit d'expliciter les mécanismes de développement. Cependant, notre méconnaissance du pourquoi est compensée par un minimum de savoir sur le comment. Dès lors que les politiciens dégagent un compromis minimal sur les façons de procéder, Il y a au moins quatre axes à considérer :
1. La priorité accordée au développement humain et au management de l'intelligence ;
2. Une séparation judicieuse des décisions politiques et «techniques» ;
3. Une organisation de l'Etat et la nécessité de disposer d'une «institution cerveau» ;
4. La conditionnalité de la bonne gouvernance.
Tout Etat a des priorités. Sa stratégie, ses politiques, ses décisions et les séquences de leurs plans d'actions sont basés sur des hypothèses implicites ou explicites sur le couple importance/urgence. Les bons managers sont familiers avec ces concepts. Ils classent les tâches à exécuter selon la matrice du couple importance/urgence. Au niveau des choix macroéconomiques nous retrouvons les mêmes données. Par exemple, la Chine a priorisé le développement humain dans sa stratégie de développement économique tant en importance qu'en urgence. Les analystes prévoient que dans vingt ans, la Chine aura dix universités qui se classeront parmi les trente meilleures au monde. Le pays affecte 2% au moins de son PIB pour améliorer la qualité de la recherche scientifique et de l'éducation.
Durant les années quatre-vingt, le pays a investi massivement pour moderniser son système éducatif et professionnel. Elle a priorisé le développement humain dans sa stratégie de modernisation économique. Elle en récolte aujourd'hui les fruits. Elle satisfait à la condition numéro une citée plus haut. Il en est de même pour la Corée, la Malaisie, le Singapour et autres. Le second principe a trait à la séparation des rôles. Les pays à succès savent couper la décision politique de la décision technique. Les hauts décideurs fixent des objectifs politiques du genre taux de croissance recherché, dépendance alimentaire, équilibre régional, politiques sociales et un ensemble de buts prioritaires.
Ce sont les décisions que prennent les membres du comité central du parti communiste chinois. Par la suite, les décisions techniques sont conçues par le comité de planification chinois avec un minimum d'interférences politiques dans les méthodes de programmation et d'exécution. Lorsque les décisions techniques sont politisées, le système ne peut que se bloquer. Mobiliser des ressources pour réduire le chômage est une décision politique. Affecter ces ressources pour obtenir le maximum d'efficacité est une décision technique. La première devrait être prise par le pouvoir en place et la seconde par les experts. Dès lors que les politiciens prennent les deux types de décision, un chaos en résultera.
Il est largement admis qu'une mauvaise organisation d'entreprise est capable de faire déraper toute une stratégie efficacement conçue. Ce même principe vaut pour les structurations des Etats. Un système organisationnel mal conçu induit des dysfonctionnements si graves qu'ils peuvent faire capoter les décisions politiques les plus judicieusement conçues. Par exemple, quelles institutions auditent ? Quelles sont celles qui harmonisent les décisions sectorielles et les modes de fonctionnement de l'Etat au niveau des divers échelons ?
L'application des principes de la bonne gouvernance au sein de toutes les institutions de l'Etat qu'elle qu'en soit leur niveau hiérarchique est une donnée incontournable de l'équation de développement. On a souvent tendance, à tort, de considérer les entreprises économiques comme les seuls vecteurs de l'efficacité globale. Mais les institutions administratives sont aussi importantes sinon plus que le mode de management du secteur productif.
Conclusion
C'est la sociologie politique d'un pays qui produit son développement ou son arriération. Aujourd'hui, la vaste majorité des écoles économiques, sans prétendre à l'unanimité sont globalement d'accord sur les politiques qui produisent la croissance et le développement. Bien sûr, il faut savoir moduler les principes de base en fonction des réalités concrètes d'un pays. Mais dans l'ensemble, nous avons les grandes lignes des schémas qui réussissent. Nous avons présenté uniquement un échantillon de principes qui figurent parmi les plus importants et les plus ignorés. Force est de constater qu'une analyse de ces repères nous explique pourquoi malgré les énormes ressources dont nous disposons, et dont une grande partie a été injectée dans l'économie, nous demeurons très loin de la maîtrise du développement.


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