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“80% des ressources devraient aller à la qualité de l'enseignement” Docteur Abdelhak Lamiri à Liberté, à propos de l'efficience des plans de relance économique
Dans cet entretien, l'économiste aborde la problématique de l'allocation judicieuse des ressources financières de l'Etat, et soulève la question de la pertinence de la démarche économique poursuivie actuellement par les pouvoirs publics. Liberté : Comment évaluez-vous l'efficacité des plans de relance économique ? nn Dr Abdelhak Lamiri : Vers la fin de 1990, la croissance économique en Algérie était molle et nécessitait une intervention vigoureuse des pouvoirs publics. Le PIB évoluait à un rythme de 2 à 2,5% par an et le chômage avoisinait les 30%. Mais une embellie pétrolière, encouragée par une croissance mondiale qui s'améliorait de plus de 2,3%, permettait de renflouer les réserves de l'Etat, améliorait la fiscalité pétrolière et autorisait une large marge de manœuvre, pour peser à l'aide de politiques économiques sur l'emploi et le bien-être des citoyens. En premier lieu, la vaste majorité des acteurs économiques demandait à l'Etat de fouetter l'activité économique. Il y avait un consensus qui visait à utiliser une partie des ressources au lieu de les garder stériles. Il n'y avait pas de débat sur quoi faire et comment faire. Les décideurs publics, inspirés par la doctrine keynésienne, avaient conçu un plan de relance basé essentiellement sur le développement des infrastructures. Il s'apparentait en grande partie au new deal de Roosevelt qui mit fin à la dépression économique de 1929. Il faut dire que l'ensemble des acteurs économiques avait applaudi cette décision en croyant que les ressources injectées allaient démultiplier les activités économiques et induire un développement durable. C'était une relance classique par la demande. Cette décision était suivie de plusieurs autres qui, à mon avis, ont été plus judicieuses telles que : - la constitution d'un fonds de régulation des dépenses ; - le paiement des dettes par anticipation ; - un début très timide d'orientation des ressources pour le développement de la PME/PMI telles que le fonds de garantie. L'idée centrale était que les entreprises algériennes, qui sous-utilisent leurs capacités, bénéficieraient de cet appui et par le mécanisme du multiplicateur qui leur permettrait d'atteindre leur pleine capacité. Les plans de relance sont encore à l'ordre du jour puisqu'on a un autre plan quinquennal de plus de 150 milliards de dollars. Nous avons des résultats des plans précédents à méditer. Nous allons analyser succinctement la problématique théorique, mais surtout analyser les résultats pratiques. Nous savons que dans la conduite des politiques économiques, il faut tenir compte de la spécificité de l'économie. En premier lieu, Keynes lui-même admettait que sa théorie n'est pas valable lorsqu'il y a un “leakage” CAD, une économie extravertie qui importe trop. Or, lorsqu'un Algérien dépense 100 DA, 81 sont des produits importés. On relance donc l'économie internationale, mais pas l'activité domestique. Ceci explique pourquoi les importations sont passées de 10 milliards de dollars en 2000 à plus de 40 milliards en 2009 : première erreur grave. En second lieu, on conseille toujours à un pays en transition et/ou en développement de faire de la relance surtout par une offre ciblée. La demande devrait être à 20% ou moins dans le package. Nous avons fait l'inverse. Nous avons conçu un programme d'un pays développé. Le troisième point a carrément échappé à nos concepteurs. Une relance à la Keynes est efficace si le taux d'utilisation des capacités était élevé, mais pour une raison accidentelle (crise de confiance) il est redescendu. On peut le remettre au niveau pré-crise. Notre taux d'utilisation des capacités a toujours été autour de 50%. Nous avons un problème structurel, il ne peut pas être corrigé par des politiques conjoncturelles. On ne peut guérir une tumeur par du Paracétamol. Les résultats confortent les connaissances théoriques. Certes, la croissance économique s'est améliorée de 3 points durant la période post-relance. Mais ce fut le cas de la vaste majorité des pays en voie de développement durant cette période. De surcroît, nous avons un outil pour juger en pratique de l'efficacité des plans de relance : le multiplicateur. Dans une économie normale, lorsque on injecte 1% du PIB, ce dernier s'accroît de 2 à 3%. Or, nous avons injecté plus de 17% du PIB par an pour obtenir une amélioration de 3% de ce dernier, alors que le reste des pays en développement ont obtenu les mêmes performances sans plans de relance. Nous avons beaucoup d'autres indications qui montrent les limites et le gaspillage de telles politiques économiques. Alors que faire ? Il faut comprendre que les politiques de relance donnent de biens meilleurs résultats lorsqu'un certain nombre de conditions sont remplies. Les plus importantes sont : - des ressources humaines hautement qualifiées ; un management institutionnel efficace ; un tissu de PME/PMI dense et hautement performant, résultat d'un entrepreneur hip de qualité, de l'innovation et de l'utilisation efficace des technologies performantes ; une organisation de l'Etat efficace qui produit vision, stratégie et environnement des affaires efficaces. Si ces conditions ne sont pas remplies, il faudrait concevoir un plan pour les consolider d'abord. Chacune de ces conditions nécessite un plan d'action précis et des ressources à mobiliser. Toute défaillance invaliderait la démarche. Par exemple, il est impossible pour un pays d'être compétitif au niveau mondial avec un système universitaire en retard. Il est curieux de noter que les plans Obama et Sarkozy privilégient la formation, la recherche scientifique, la PME/PMI, alors que nous avons surdosé les infrastructures. Alors quand serions-nous optimistes pour l'économie algérienne ? Tout simplement lorsque nous allons mobiliser 40 ou 50 milliards de dollars pour améliorer la qualité de notre enseignement avec un plan d'action conçu par nos meilleurs experts et non des bureaucrates ; les banques octroient plus de 80% de crédits à la création de nouvelles entreprises et au développement des PME/PMI qui réussissent. On met donc des ressources pour créer une nouvelle économie basée sur les nouvelles technologies de l'information, de l'énergie, des services, de la biotechnologie et le reste. On cesse d'injecter des ressources dans l'ancienne économie et on développe un nouveau tissu performant ; les institutions et les administrations publiques seront gérées efficacement selon les normes du management moderne ; on crée une institution “cerveau” qui conçoit en concertation la stratégie, les politiques sectorielles et les modalités d'évaluation (80% des ressources devraient aller à la qualité de l'enseignement, la recherche, la création de nouvelles entreprises, le renforcement de l'expertise nationale, l'amélioration du management…). C'est cela notre plan de relance efficace. Tout le reste n'est que replâtrage. Nous aurons besoin alors de consacrer 20% des ressources aux infrastructures, et non 80%.