Une feuille de route est fraîchement tracée à la craie sur le tableau. Un programme resté intact depuis près de quarante ans. En fait, ce sont les détails d'un concert donné par l'orchestre El Moustaqbal El Fenni El Qacentini en 1968 à Alger, lors du Festival international de la musique andalouse. Une prestation mémorable. En face, onze musiciens s'appliquent dans les répétitions. Ceux qui restent encore en vie. La troupe a perdu déjà cinq éléments rappelés à Dieu. Maâmar Berrachi, Zouaoui Fergani, Mostafa Bouchama, Mohamed Berrachi et Sid Ali Kherrouatou sont toujours présents dans les esprits alors que Kamel Kherroutou, malade, n'a pu rallier ses camarades. Dans une salle retirée du Palais de la culture Malek Haddad, en chantier, on distingue les visages familiers de cheikh Kaddour Darsouni, le chef d'orchestre au luth, Hamdani Hammadi à la mandoline, Mohamed Azizi au luth, mais on trouve aussi Slimane Kherrouatou au piano, Kamel Fellah à la flûte, Mouloud Bahloul et Chérif Sellami aux violons, Omar Benderradj à la mandole, Abdelhak Belfertas à la derbouka, Abdelaziz Chachou au tar et Kamel Bouhouala aux naghrate. Un effectif âgé, éprouvé par le temps mais qui garde intactes sa dextérité et son savoir-faire musical. L'apprentissage et le travail sont les mêmes que depuis une quarantaine d'années. Rien n'a vraiment changé. A l'œuvre depuis quelques jours, l'orchestre se préparait pour une prestation musicale programmée pour la soirée d'aujourd'hui, au théâtre de la ville, à l'occasion de la clôture des journées constantinoises du malouf. Cette même prestation a vu ce même orchestre décrocher la médaille d'or lors de sa seconde participation au Festival international de la musique andalouse en 1968, à Alger, avec la nouba Maya. « L'orchestre né deux années auparavant avait obtenu le troisième prix dès sa première apparition officielle en 1967 avec la nouba Sika. Nous nous sommes tant perfectionnés avec le cheikh Darsouni pour connaître la consécration une année plus tard », nous révélera Mohamed Aziz, membre de l'orchestre. C'est sous la férule de cheikh Kaddour Darsouni, toujours égal à lui-même, que l'ensemble reprend encore des répétitions réglées dans le moindre détail, comme au bon vieux temps, avec sérieux et bonne humeur, pour être au rendez-vous d'un hommage qui a tardé à venir. Certains parmi les membres d'El Moustaqbal El Fenni en ont déjà gros sur le cœur. « C'est un orchestre qui a fait ses lettres de noblesse pour représenter dignement la ville face à des ensembles réputés à l'échelle internationale, mais qui finira malheureusement dans les oubliettes », s'indignera Mouloud Bahloul avec une désolation difficile à cacher. « Il est très pénible d'oublier le jour où nous sommes revenus d'Alger dans l'anonymat total », poursuit-il. Durant des années, l'orchestre a vu partir ses illustres éléments en silence, alors que ceux qui restent encore en vie connaîtront les affres de la marginalisation. La plupart d'entre eux ayant quitté le milieu artistique pour gagner leur vie, ont répondu quand même à une sollicitation bien que circonstancielle. Ils se sont débrouillés et dépensés avec leurs propres moyens pour s'illustrer dignement sur scène. Par la force des choses, l'orchestre El Moustaqbal El Fenni demeure méconnu pour les jeunes mélomanes « C'est maintenant qu'on a pensé à nous rendre hommage dans une ville où la culture est tenue par des incultes », ne cessera de répéter Mouloud Bahloul. Des propos bien amers pour des hommes qui méritent tous les égards, surtout que bon nombre de ces artistes ont donné le meilleur d'eux-mêmes et se disent toujours prêts à transmettre leur savoir-faire musical aux jeunes générations. Pour ces dernières, qui auront peut-être la chance inouïe de découvrir à l'œuvre l'orchestre El Moustaqbal El Fenni El Qacentini, ce soir au théâtre, la surprise sera au rendez-vous avec des hommes que ni le temps, ni les ingratitudes n'ont pu avoir raison de leur talent intarissable.