Votée dans la plus grande discrétion par une poignée de députés, la loi du 23 février portant « Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » suscite l'embarras de l'exécutif français depuis que l'action d'historiens et d'enseignants a pris la forme d'un vaste mouvement de contestation et l'indignation en Algérie. C'est plus particulièrement son article 4, stipulant que « les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle l'histoire », qui est contesté. Le président Chirac s'exprimera d'ici à la fin de l'année sur la période coloniale, au moment de la signature du traité, dans la ligne de ses déclarations faites le 21 juillet à Madagascar où il regrettait les « dérives » de la répression lors des décolonisation, et de celles de l'ambassadeur de France en Algérie, qui a qualifié de « tragédie inexcusable » les massacres du 8 mai 1945, selon le journal le Monde. Aujourd'hui, aussi bien l'Elysée que le Quai d'Orsay semblent s'efforcer de désamorcer l'impact de la loi du 23 février 2005, une « erreur colossale » comme l'avait qualifiée un proche du Premier ministre Dominique de Villepin ou de « maladresse » comme il nous l'a été dit au plus près de l'Elysée, en nous rappelant que cette loi est « une initiative de parlementaires et non du gouvernement ». Autrement dit que le rattrapage de cette loi votée « en catimini » et pour « satisfaire un électorat » doit venir du Parlement. Paris ne souhaite pas que les choses s'enveniment, mais « préparer le long terme ». « Le traité d'amitié va clarifier les choses », nous a-t-on affirmé de même source. « Nous sommes en train de préparer un texte qui a cette valeur fondamentale de clarifier » tous les sujets d'intérêt commun. Et « c'est presque une évidence de reconnaître des faits d'histoire coloniale, cela fait partie du travail collectif que nous faisons ». « A Madagascar, on a pensé tout naturellement à l'Algérie. » Lever les malentendus Devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française le 5 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy déclarait : « La signature d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie faisait partie des objectifs qui figuraient dans la déclaration commune des présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika de 2003. Cet objectif devrait être atteint avant la fin de l'année 2005. Le traité devra respecter la pluralité des mémoires, fondée sur des travaux d'historiens français et algériens. Il faut parvenir à une reconnaissance assumée et partagée des faits historiques. » Invité par « Le grand rendez-vous Europe 1 - TV 5 » du 2 octobre dernier, le chef de la diplomatie française a précisé : « Dans le cadre de ce traité d'amitié, nous aurons d'abord des relations politiques, scientifiques, techniques, culturelles et universitaires et puis aussi nous jetterons des bases d'orientation politique qui permettent de dépasser ces malentendus actuels pour arriver à trouver les mots qui permettent d'assurer, de part et d'autre, un passé commun. Tout cela est dû à la loi. Que ce soit bien clair, il faut dissiper tous les malentendus, cette loi (23 février 2005) prévoit avant tout des mesures sociales et fiscales pour les Français rapatriés d'Algérie et pour les harkis. Il se trouve aussi que cette loi permet de mettre en avant les historiens, les universitaires, les scientifiques pour trouver, de la manière la plus objective possible, entre les historiens algériens et les historiens français, les mots pour parler de notre passé. » Recul Pour sa part, dans une interview publiée récemment par Le Journal du Dimanche (JDD), le ministre de l'Education français, Gilles de Robien, a déclaré que la loi du 23 février qui glorifie le rôle positif de la colonisation française outre-mer et en Afrique du Nord « n'implique aucune modification des programmes actuels d'histoire qui permettent d'aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et sous tous ses éclairages ». « Il n'y a aucun domaine d'histoire officielle. En revanche, il y a des programmes officiels, arrêtés par le ministre », a précisé encore le ministre français de l'Education. Gilles de Robien a affirmé que les programmes d'histoire sont élaborés par « des groupes d'experts composés d'universitaires, d'inspecteurs généraux et d'enseignants qui offrent toutes les garanties de qualité scientifique et pédagogique ». Une pétition intitulée « Colonisation : non à l'enseignement d'une histoire officielle » par plusieurs centaines d'historiens et d'enseignants demande à ce que cette loi soit abrogée d'« urgence parce qu' elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité ; parce que, en ne retenant que le ‘‘rôle positif'' de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu'au génocide, sur l'esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ; parce qu'elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé ». Le 11 juin 2004, une quarantaine de députés présents à l'Assemblée nationale vote en première lecture une loi portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». S'y glisse, sans tollé aucun, un amendement proposé par des députés UMP visant à faire connaître, à travers les programmes scolaires, « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». La loi sera votée en seconde lecture, le 23 février 2005. A ce jour, seuls des sénateurs de gauche (une quarantaine) ont déposé une proposition de loi allant dans le sens de l'abrogation de l'article 4 de cette loi.