Le Conseil de sécurité sait afficher la solennité pour des questions jugées d'une brûlante actualité, ou encore celles susceptibles d'aller à l'encontre de la Charte de l'ONU, c'est-à-dire celles qui menacent la paix et la sécurité mondiales. Et la réunion d'aujourd'hui au niveau ministériel devrait en faire partie même si cela paraît fort discutable. Actualité diplomatique internationale très chargée, mais axée uniquement sur le Proche-Orient, et pas essentiellement, car un vote sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais a des répercussions régionales. C'est en fin de compte toute la complexité ou encore le spectre que s'autorise la résolution 1559 adoptée en septembre 2004 par le Conseil de sécurité. Il n'est pour cela que de juger les réactions du Hezbollah libanais et d'organisations palestiniennes dites de l'opposition pour s'en convaincre. Le rapport de la mission d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri a, il est vrai, focalisé l'attention - un fait certainement voulu - car le rapport qui allait suivre et qui portait justement sur l'état d'application de la 1559 ne manquait pas d'intérêt (voir les réactions ci-contre). En ce sens, le Conseil de sécurité entend afficher toute la solennité à des décisions jugées importantes en se réunissant au niveau des ministres des Affaires étrangères des quinze Etats membres. L'Algérie y sera représentée par Mohamed Bejaoui qui a quitté Alger hier à destination de New York. Les quinze sont appelés à s'exprimer sur une résolution exigeant de la Syrie une totale coopération à l'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri, sous peine de sanctions. Les trois coauteurs du projet de résolution (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) affichaient leur confiance vendredi soir de le voir adopté, après une nouvelle journée de consultations intenses. « On s'oriente vers une résolution adoptée à une large majorité et nous espérons même qu'elle puisse être votée par tous », a déclaré l'ambassadeur de France, Jean-Marc de La Sablière. « Nous sommes très près du but », a confirmé son homologue américain, John Bolton. Le texte en question vise essentiellement à forcer la Syrie à coopérer à l'enquête de la commission indépendante sur l'assassinat de Rafic Hariri, dirigée par le magistrat allemand Detlev Mehlis et qui doit se poursuivre au moins jusqu'au 15 décembre. Dans un rapport après ses quatre premiers mois d'enquête, M. Mehlis a conclu à l'existence de « preuves convergentes » de l'implication des services de sécurité syriens et libanais dans l'assassinat. L'essentiel des discussions sur le projet de résolution concerne un paragraphe contenant une menace, discrète mais réelle, d'imposition à terme de sanctions économiques ou diplomatiques à l'encontre de Damas, au cas où la commission établirait qu'il ne coopère pas à l'enquête. Ce passage suscite l'hostilité d'au moins trois Etats membres - la Russie, la Chine et l'Algérie - traditionnellement opposées à l'utilisation de menaces de sanctions. Mais les coauteurs étaient confiants que la Chine et la Russie n'useraient pas de leur droit de veto, malgré les déclarations du gouvernement russe selon lesquelles Moscou « ferait tout » pour éviter des sanctions à Damas. Pour être adoptée, une résolution doit recueillir au moins neuf voix sur quinze et ne pas susciter le veto d'un des cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie). Le projet prévoit par ailleurs d'imposer à la Syrie d'arrêter tout responsable ou citoyen ordinaire syrien que la commission d'enquête pourrait soupçonner d'être impliqué dans l'assassinat et le mettre totalement à la disposition de la commission. Il donne également toute latitude à la commission pour décider du lieu et des conditions d'interrogatoire des personnes qu'elle juge utile d'interroger. Il prévoit enfin, sous certaines conditions, des sanctions individuelles - gel d'avoirs financiers à l'étranger et interdiction de voyager - contre les personnes qui auront été désignées comme suspectes d'implication dans l'assassinat par la commission. Le Conseil prend toutefois soin de préciser que ces sanctions sont prises « sans préjudice de la détermination finale par la justice de la culpabilité ou non » des personnes visées. Les trois coauteurs devaient faire circuler vendredi soir une troisième version du texte, qu'ils espèrent la dernière, comportant de nouveaux amendements destinés à rallier les délégations encore réticentes, a indiqué un diplomate d'un des trois pays. Ces amendements ne devaient toutefois pas affecter profondément la tonalité générale du texte, selon ce diplomate. La Syrie a déjà fait connaître sa volonté de participer à l'enquête. Des contacts et même des tractations ont marqué l'avant et l'après-rapport dans la perspective d'appliquer strictement la résolution 1559, sans lui substituer une quelconque structure. Tout en veillant bien entendu à ce que l'instance onusienne ne serve pas d'instrument d'application d'une politique qui n'est pas la sienne.