La superpuissance asiatique voulait faire des 19e Jeux du Commonwealth, événement sportif planétaire du 3 au 14 octobre, l'occasion d'afficher sa supériorité régionale. Mais ses ambitions se sont heurtées aux archaïsmes et aux lenteurs que le géant traîne encore. L'état désastreux des infrastructures qui devront abriter les participants et la peur des attentats ont poussé plusieurs athlètes à décliner l'invitation indienne. De notre correspondante à New Delhi Une nation humiliée par l'incompétence de ses responsables, des médias très en colère contre leur gouvernement, des stars du sport international qui désertent l'un après l'autre la 19e édition des Jeux du Commonwealth… Les Indiens se seraient bien passés de ce drame national, surtout que le souvenir de la splendeur avec laquelle le voisin rival, la Chine, avait célébré les Jeux olympiques de Pékin est encore vivant et nargue les compatriotes du Mahatma Gandhi. A deux jours de l'inauguration de l'évènement mondial dans la capitale indienne, une série d'incidents graves sont venus jeter une ombre préoccupante sur les Jeux. Une passerelle récemment achevée et devant relier le tout nouveau stade flamboyant Jawaharlal Nehru au parking s'est effondrée faisant 27 blessés dont certains graves. Un faux plafond d'une salle d'haltérophilie, fraîchement aménagée, a également cédé. Les représentants des pays participants qui ont inspecté les infrastructures du village sportif nouvellement construit se sont dit «atterrés par l'état d'insalubrité des lieux». Des toilettes où l'hygiène est totalement absente, des chiens errants installés sur les lits que devront occuper les athlètes, des moustiques qui pullulent dans les douches, des installations électriques défectueuses et dangereuses… «Des têtes tomberont» Pourtant, entre 3 et 6 milliards d'euros ont été dépensés pour porter à terme ces travaux, et les Indiens ont eut sept longues années pour se préparer. «Du jamais vu dans l'histoire des Jeux du Commonwealth», assurent les responsables de cette organisation. La presse australienne va jusqu'à accuser le gouvernement indien d'avoir acheté le vote des nations membres du Commonwealth pour décrocher l'organisation des Jeux. La somme rondelette de 100 000 euros aurait été versée à chaque votant. Le Comité olympique australien ira plus loin, en affirmant : «Avec du recul, on se rend compte que l'Inde n'aurait pas dû être choisie pour organiser cette édition.» Lors d'une conférence de presse, un journaliste anglais aura cette question embarrassante pour le président du comité organisateur indien, Suresh Kalmadi. «Le Comité indien de vigilance sur les travaux a affirmé que plusieurs certificats de conformité des matériaux et des normes de construction étaient faux et suspects. Vous sentez-vous responsable en invitant les athlètes à évoluer dans ces infrastructures ?» Plusieurs affaires de corruption avaient, en effet, éclaté durant les préparatifs des Jeux, mais la chef du parti du Congrès au pouvoir, l'Italienne d'origine, Sonia Gandhi, a promis que des têtes tomberont après la clôture de la rencontre. Terreur parmi les touristes Et comme dans le meilleur scénario dramatique de Bollywood, une autre menace est venue bouleverser davantage la tenue de ce rendez-vous sportif. Une fusillade revendiquée par un groupe islamiste, les Moudjahidine indiens, qui menacent de saboter les Jeux pour venger les manifestants musulmans tués par la police indienne au Cachemire, est venue semer la terreur parmi les touristes, à deux semaines du début des Jeux. Un car de voyageurs garé devant la mosquée Masjid Jama de Delhi a été mitraillé faisant miraculeusement deux blessés seulement, tous deux Taiwanais. Dès l'annonce de cette nouvelle, plusieurs stars du sport mondial, comme le Britannique champion du monde du triple saut, Phillips Idowu, ont décidé de déclarer forfait. «Je suis désolé, je dois penser à mes enfants. Ma sécurité vaut plus qu'une médaille», a t-il confié à la presse de son pays. Les autorités indiennes qui avaient prévu un afflux record de touristes dans la capitale durant les Jeux, ont dû revoir leur estimation à la baisse. Des deux millions de visiteurs prévus, seuls 60 000 feraient le déplacement, à en croire le gouvernement. Il faut dire que New Delhi n'est plus une destination de choix pour les touristes ces jours-ci. Les tour-opérateurs qui avaient du mal à satisfaire tous leurs clients qui rêvent de visiter les Indes magiques ont désormais de grandes difficultés à vendre leurs paquets de voyages exotiques. Entre la saison de la mousson qui a débuté avec des pluies torrentielles, causant victimes et dégâts à travers le pays, la redoutable épidémie de fièvre de dengue qui sévit dans la capitale et ailleurs, la menace terroriste… Il faut être un sacré baroudeur pour penser se rendre à Delhi en cette période funeste. Village sportif décrié Pourtant, d'après la date retenue par la Fédération des Jeux du Commonwealth, la 19e édition se déroulera du 3 au 14 octobre. C'est le plus grand évènement sportif pour l'Inde depuis 1982, lorsque cette grande démocratie avait organisé les Jeux asiatiques dans la capitale, New Delhi. Les artères menant de l'aéroport Indira Gandhi au centre-ville sont curieusement propres et les enfants qui mendient ou vendent toutes sortes de gadgets ont disparu comme par magie. Sur la chaussée, une ligne jaune délimitant des voies préférentielles réservées aux délégations officielles rend la vie plus dure aux autres automobilistes. «Les routes sont vraiment étroites et les bouchons interminables à toutes les heures, et avec cette trouvaille, c'est pire !», se lamente Dinesh un jeune étudiant, au volant de sa Maruti grise, qui zigzague dangereusement pour se frayer un chemin entre les rick-shows, les autobus et autres véhicules. L'insécurité et l'improvisation ont valu à la troisième puissance économique de l'Asie un outrage international. L'Australie a posé une condition à sa participation : faire accompagner sa délégation de 15 agents de sa police pour assurer la sécurité des athlètes. La Nouvelle-Zélande, le Canada et l'Ecosse ont repoussé leur départ pour Delhi jusqu'à la dernière minute. La délégation anglaise a opté pour l'hôtel, boudant le très décrié village sportif, et a exigé que même la voiture du Premier ministre indien Manmohan Singh soit fouillée à son entrée dans le stade. Requête que l'orgueilleuse ancienne colonie britannique a bien sûr rejeté avec indignation.En attendant, l'inauguration des Jeux prévue pour dimanche, les représentants de plusieurs religions ont joint leurs prières, à Delhi, pour que les Jeux se déroulent sous de bons auspices.