Piers Handling et Cameron Bailey, les directeurs du Festival de Toronto (TIFF), assument leur passion pour le cinéma le plus exigeant et exercent leur sensibilité à donner au public canadien un regard sur le monde, en l'invitant à s'ouvrir à d'autres horizons, à interroger les films qui viennent du bout du monde, à soupeser leur forme et leur contenu et à apprécier leur valeur ou leurs défauts. Ce qui rend encore plus passionnant le séjour à Toronto, c'est qu'après le festival, le cinéma continue. La presse de l'Ontario annonçait, cette semaine, la tenue du Festival du film palestinien. Et déjà comme pour mieux l'annoncer encore, de jolies jeunes filles portaient des foulards palestiniens autour du cou ,de nombreuses boutiques de Toronto en mettaient des stocks à leurs devantures. Le cinéma continue aussi au coeur même du majestueux nouveau siège du festival Bell Lightbox, avec son programme de 100 films : The Essential Cinema. Eternel chef d'oeuvre, systématiquement étudié dans les états-majors militaires d'Amérique et d'Europe, comme l'exemple exemplaire de la résistance anticoloniale et de la guérilla urbaine : La Bataille d'Alger figure logiquement dans ce programme. Une affiche géante ornait le hall de Bell Lightbox où l'on peut voir Brahim Hadjaj (Ali la Pointe) avec son incroyable puissance dans le regard. Le texte qui accompagne le film est au superlatif, signé Cameron Bailey. La Bataille d'Alger a joué le même rôle pour l'Algérie que The Birth of a nation de Griffith pour l'Amérique. Ce rôle d'éveil et d'engagement politique est aussi dans Le Cuirassé Potemkine de Sergei Eisenstein et dans Nuit et Brouillard d' Alain Resnais. Cette suite du programme du Festival de Toronto fonctionne comme une cinémathèque géante qui cherche à partager la passion du cinéma classique, à éduquer les regards, à aider le public à voir des films qui ne sont pas seulement des divertissements du samedi soir avec des pop-corns à l'appui. C'est aussi comme une université du soir qui donne des repères, des lignes sur l'évolution historique du monde. Ce qu'on voit à Bell Lightbox, ce sont des images qu'on ne voit pas à la télévision. Parmi les 100 films, on y trouve Viridiana, In the mood of love, Metropolis, Le septième sceau, Apocalypse Now, Citizen Kane... Dans une espèce d'entente cordiale, on voyait tous les jours au Festival de Toronto débarquer les producteurs d' Hollywood venus faire des affaires. De même que des producteurs et des cinéastes indépendants tentant de vendre leurs films qu'ils savent exposés équitablement, par le festival, aux regards des «film lovers», l'expression qui désigne à Toronto aussi bien les cinéphiles que ceux qui achètent les films. L'art et business cohabitent ici harmonieusement.A Toronto, les halls des grands palaces étaient pleins comme des ruches, par l'industrie du cinéma. Tout au long du Festival, il y a eu de belles réactions, très sympathiques, une grande estime autour du film algérien Hors la loi. Auréolé déjà par sa sélection à Cannes, le film de Rachid Bouchareb est bien parti pour sa conquête du marché américain. Pareil pour le sombre et rigoureux A screaming man (l'homme qui crie) de Mahamet Saleh Haroun (Tchad). Venu de Kinshasa (Congo), un film beau et invraisemblable à la fois est tombé ici comme un ovni : Viva Riva ! de Djo Tunda Wa Munga. Beau, à cause de la musique.Les musiciens de Kinshasa sont des maestros incontestables, avec leur son libre, éclatant, enthousiaste. On voit dans le film des boîtes de nuit, des salles de concert en transes. Sur le plan du récit, copié sur les illustres thrillers de Chicago des années 1920, le travail est moins rassurant, assez invraisemblable. Mais peut-être Djo Tunda Wa Munga trouvera aussi son chemin vers l'Amérique.Ceci clôt le chapitre passionnant du 35e Festival international du film de Toronto (TIFF). Rendez-vous est pris pour septembre 2011.