Le festival de Toronto s'est achevé en apothéose, en dépit des signes précurseurs des grands remous boursiers qui agitent l'Occident.. Un public dense, enthousiaste, passionné, s'est pressé devant les salles Varsity, Bloor Sreet, pour ne rater aucun des 300 films du 33e festival de Toronto (TIFF). Sélection particulièrement heureuse qui reflétait bien la diversité ethnique de cette ville où 70 minorités cohabitent avec les Canadiens anglophones. Le festival a concentré ses efforts pour couvrir la production cinématographique du monde entier. Des œuvres certes déjà connues, celles des Coen, Dardenne, Varda, Mireilles ou Arriaga. D'autres assez rares ou inédites comme Snow de la Bosniaque Aida Begic, ou le bijou turc Sut (le lait) de Sémih Kaplanoglou, un film tendre et beau à la fois. A Toronto, on était vraiment hors des sentiers (cinématographiques) battus. Dans ce lieu séduisant du complexe Varsity, au cœur même de Toronto, on pouvait aussi voir l'une des pièces maîtresses du festival : la section Vanguard qui programmait des œuvres originales, comme l'hommage émouvant filmé par Marco Pontecorvo au célèbre artiste et clown algérien Miloud Oukhil, qui depuis des années a monté avec les enfants des rues de Bucarest un cirque époustouflant. C'est un trio qui préside au sommet du festival de Toronto : le directeur général, Piers Handling, également responsable de la grande cinémathèque de l'Ontario, le co-directeur Cameron Bailey, ancien journaliste et spécialiste du cinéma africain et la « executive director » Michèle Maheux, qui incarne depuis des années la continuité et la réussite du festival. Après trois décennies de succès grandissants, TIFF s'est trouvé confronté à la nécessité de trouver un lieu unique, un palais moderne et accueillant, afin d'en faire son siège permanent, un « beautiful home for cinema », avec ses salles, ses bureaux, ses archives. Grâce aux sponsors privés, grandes marques et organisations charitables, ce projet verra le jour en 2010 dans l'immense building Bell Lightbox, situé du côté de King Street. 200 millions de dollars canadiens ont été nécessaires pour que le rêve d'un nouveau palais devienne réalité. Surprenante ville de Toronto ! C'est une espèce de « Commenwealth des nations », selon la définition de son maire, David Miller. On débouche sans arrêt sur des quartiers chinois, japonais, mexicains, indiens. Mulculturalisme des langues dans les enseignes des boutiques, des restaurants. Rien n'est gris dans cette ville, les labyrinthes de China Town et de Little India exercent sur le flâneur une séduction sans égale. A la Bibliothèque nationale sur Yong Street (une artère qui traverse Toronto du nord au sud et qui court sur 40 kilomètres), une affiche annonce des cours d'anglais gratuits pour les nouveaux arrivants et pour ceux qui cherchent du travail, un logement, un numéro de téléphone où les aides sociales répondent en 16 langues (16 languages available !). Sur la même Yong Street, de jeunes Chinois, Libanais, Vietnamiens, Thaïlandais, Népalais, Mexicains, Turcs, roulant des mécaniques, ont ouvert des boutiques de souvenirs ou des restaurants. Un chauffeur de taxi conduisant sa grande limousine me dit qu'il est Palestinien : « Je suis arrivé au Canada à 19 ans et maintenant je suis grand-père. » Régulièrement, il joue du « oud » et de la flûte dans un orchestre oriental. Dans le Financial District de Toronto, sur Front Street West, les hommes d'affaires paraissent assommés par la chute libre des cours des Bourses. Certains ont bossé dur pour un résultat néant. Le grand quotidien The Globe and Mail baigne dans des pages d'analyses économiques et s'en prend aussi quelquefois aux banquiers incompétents par qui a surgi la crise. Entre deux projections, on peut s'asseoir et lire tous les livres qu'on veut à la librairie Indigo, qui offre à ses clients ses fauteuils profonds... Dans ce même building de Manulife, on retrouve, deux étages plus hauts, le cercle des porteurs de badges du festival devant les huit salles Varsity. Tant pis si le soleil de Toronto en septembre invite encore à la promenade, car l'inexorable loi du programme du festival fait que les images ne passent souvent qu'une seule fois.